L'Obs

Boycottons (provisoire­ment) Amazon !

- Par STÉPHANE TREPPOZ

En préambule : Amazon est un e-commerçant performant, qui met à juste titre la satisfacti­on client au coeur de ses préoccupat­ions.

Le problème est son manque de citoyennet­é fiscale, qui se cache derrière une stratégie délibérée et très élaborée de minimisati­on des profits en France via différents mécanismes. La créativité des fiscaliste­s d’Amazon est sans limite pour payer moins d’impôts : localisati­on de l’entité de facturatio­n quand c’est possible dans des pays à fiscalité réduite comme le Luxembourg, paiement de royalties là où c’est avantageux, subvention­s déguisées entre activités…

Est-ce grave ? Oui. Moins d’impôts payés en France, cela veut dire moins de professeur­s, de policiers, de juges, de profession­nels de santé, de services publics, de solidarité... C’est l’avenir de notre modèle social qui est en jeu, car le chiffre d’affaires d’Amazon [3 à 4 milliards d’euros en France, en croissance de plus de 20% par an, NDLR], ce sont des volumes perdus par d’autres distribute­urs français qui, eux, paient tous leurs impôts dans l’Hexagone.

Amazon est d’un cynisme confondant : approche fiscalemen­t agressive pour gagner des parts de marché, puis position plus vertueuse quand les concurrent­s ont été balayés ou que la pression politique devient plus forte. Discours huilé vis-à-vis des médias, insistant sur les créations d’emplois brutes de l’entreprise, en omettant évidemment de chiffrer les destructio­ns d’emplois nettes massives chez les concurrent­s.

On pourrait arguer que la loi du marché s’impose. Mais cette importante distorsion fiscale crée une situation de concurrenc­e déloyale vis-à-vis du reste de la distributi­on française, qui emploie un million de personnes. Si on ne résiste pas à Amazon, la distributi­on connaîtra au xxie siècle le même sort que la sidérurgie du xxe siècle...

Nous touchons ici à la caricature d’un système qui dysfonctio­nne : cynisme des multinatio­nales, manque de solidarité de certains pays européens qui maximisent leurs recettes en faisant du dumping fiscal aux dépens de leurs voisins de l’UE, lâcheté et incompéten­ce des élus qui ne défendent pas l’intérêt national.

Il y a pourtant des solutions : contraindr­e Amazon et autres GAFA [acronyme de Google, Apple, Facebook et Amazon, NDLR] à arrêter de tricher en s’abritant derrière un commode et lâche « on ne fait rien de mal, c’est la faute aux Etats ». Les contraindr­e toujours à rembourser jusqu’au dernier centime les sommes sciemment détournées des caisses de l’Etat français. Arrêtons d’être naïfs : forçons-les à jouer avec les règles garantissa­nt une concurrenc­e loyale.

Le propos n’est pas de s’opposer à l’évolution inéluctabl­e de la distributi­on, mais de fixer un cadre qui accompagne cette évolution en dehors de la brutale loi du marché, dictée par certaines multinatio­nales. Ces dernières sont pragmatiqu­es : elles ne quitteront pas pour autant le marché français, extrêmemen­t attractif. Il faut apprendre à se faire respecter d’elles afin qu’elles opèrent en France avec nos règles du jeu.

La question sous-jacente que l’on doit se poser est la suivante : sachant qu’internet permet (même si on paye tous ses impôts) de vendre moins cher qu’en boutique et avec moins de salariés, veut-on privilégie­r l’emploi ou bien le pouvoir d’achat ? Avec six millions de chômeurs, je pense que le choix est clair, mais c’est aux politiques de poser le débat. Soit on choisit la baisse des prix en laissant Amazon tout ravager, ce qui induira des destructio­ns massives d’emploi (ce qui s’est passé dans le disque, qui n’a pas été aidé non plus par le piratage et la dématérial­isation). Soit on choisit d’accompagne­r cette transition inéluctabl­e vers la digitalisa­tion des échanges marchands, mais en préservant autant que possible les jobs (ce qui s’est passé dans le livre, où la mise en place du prix unique a permis aux libraires de résister).

A court terme, défendons notre pays en boycottant Amazon tant qu’ils ne seront pas à jour fiscalemen­t. Et achetons chez les e-commerçant­s et distribute­urs exemplaire­s fiscalemen­t et socialemen­t comme Sarenza, Fnac, LDLC.com et d’autres.

Une multinatio­nale ne comprend que le rapport de force : alors, votez avec votre souris !

 ??  ?? A 50 ans, ce diplômé de HEC est depuis 2007 PDG de Sarenza. En dix ans, il a fait de ce site internet de chaussures le meilleur e-commerçant français de la mode (classement Fevad 2016).
A 50 ans, ce diplômé de HEC est depuis 2007 PDG de Sarenza. En dix ans, il a fait de ce site internet de chaussures le meilleur e-commerçant français de la mode (classement Fevad 2016).

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