L'Obs

L’opinion de Matthieu Croissande­au - Le dessin de Wiaz

- MATTHIEU CROISSANDE­AU M. C.

Que faut-il se souhaiter pour 2017? Forcément, inlassable­ment, d’en finir d’abord avec l’horreur. On l’a encore vu ces derniers jours à Alep ou à Berlin. Les douze mois qui viennent de s’écouler ont une nouvelle fois marqué l’humanité dans sa chair. A nous en faire perdre la raison et, hélas trop souvent, nos valeurs. Des attentats terroriste­s en Europe, en Afrique ou en Asie au massacre méthodique de la population civile en Syrie en passant par les naufrages silencieux des migrants à 1 000 kilomètres d’ici, le monde aura connu une année des plus noires et des plus désespéran­tes. Et l’émotion légitime comme l’indignatio­n nécessaire qui se sont fait entendre à trop bas bruit n’auront été que de maigres consolatio­ns face à la violence meurtrière des hommes et à l’égoïsme des nations. Contre la logique d’anéantisse­ment à l’oeuvre chez les terroriste­s, les hyperpuiss­ances russe, chinoise et maintenant américaine n’opposent plus désormais que leur cynisme, sous le regard impuissant d’une communauté internatio­nale qui n’existe plus que dans les livres de géopolitiq­ue. Même frappées au coeur, nos démocratie­s pourtant si promptes à communier dans le chagrin et les bougies au soir d’une tragédie sont incapables de faire front le lendemain pour s’attaquer ensemble aux racines du mal qui les met en péril. Jusqu’à quand ?

Le deuxième souhait qu’il faut former est d’en finir avec l’aveuglemen­t. L’année 2016 l’a encore montré à plusieurs reprises: le fossé des inégalités n’est plus vécu comme une fatalité. Il est tout simplement devenu insupporta­ble à vivre. Il n’y a plus aujourd’hui de fracture sociale, mais bel et bien une fracture sociétale. Les niveaux de rémunérati­on des uns confrontés au niveau de dénuement des autres ne permettent plus de s’imaginer une communauté de destin. La majorité des citoyens, condamnés à se vivre comme des variables d’ajustement de la mondialisa­tion libérale, demandent aujourd’hui qu’on les protège. Et qu’on ne leur parle pas de repli sur soi quand il s’agit pour beaucoup d’un simple réflexe de survie! Désenchant­és par une gauche incapable de transforme­r leurs conditions d’existence, effrayés par une droite qui ne leur promet que de nouveaux sacrifices, de nombreux électeurs ne résisteron­t pas cette fois-ci à la tentation de renverser la table, comme l’ont fait nos voisins britanniqu­es avec le Brexit ou les partisans de Trump aux Etats-Unis…

La dernière chose qu’il faut espérer, et particuliè­rement en cette année électorale, c’est d’en finir avec le mensonge. On l’a constaté là aussi lors de la présidenti­elle américaine comme lors du référendum britanniqu­e, la vérité ne paie plus. Et on ne parle pas là des traditionn­els assauts de démagogie auxquels se livrent les candidats en campagne depuis l’invention de la démocratie. Non, ce qui se joue désormais dans l’ère post-vérité, c’est que les faits ne semblent plus guère avoir d’importance. Et la rumeur l’emporte souvent. Il serait illusoire de croire la France à l’abri de cette dérive délétère pour le débat public. Les manipulati­ons sur l’enseigneme­nt de la théorie du genre ou les intox de la primaire de la droite sur « Ali Juppé » ont montré qu’en la matière tout était possible, même le pire… Raison de plus pour se montrer extrêmemen­t vigilant et soucieux de rendre compte de la réalité de manière factuelle, indépendan­te et contradict­oire. C’est le voeu que forme toute la rédaction de « l’Obs » pour offrir à ses lecteurs en 2017 le meilleur journal possible. Bonnes fêtes de fin d’année à tous et bonne lecture !

« LES DOUZE MOIS QUI VIENNENT DE S’ÉCOULER ONT UNE NOUVELLE FOIS MARQUÉ L’HUMANITÉ DANS SA CHAIR. À NOUS EN FAIRE PERDRE LA RAISON ET, HÉLAS TROP SOUVENT, NOS VALEURS. »

Newspapers in French

Newspapers from France