Les lundis de Delfeil de Ton - Les mots croisés

Où l’on voit que des mondes parallèles sont parmi nous

Ily a des sommes d’argent, on ne se lasse pas de les relire. Non pas qu’elles nous appartiennent et qu’il nous soit agréable de le vérifier. Ce sont des sommes qui sont à autrui. Pas à n’importe quel autrui. Aux meilleurs d’entre tous. Le procès de Mme Lagarde, poursuivie en tant qu’ancien ministre des Finances, où elle demandait pourquoi il lui était infligé quand l’équilibre du monde requérait ses soins à la tête du Fonds monétaire international, et ce ne sont pas les deux procureurs (ils étaient deux, ça ne lésine pas) qui disaient le contraire, ne cachant pas que la tenue de ce procès ils avaient été contre, requérant tous deux l’acquittement, et plutôt deux fois qu’une, et comme ils étaient deux ça faisait comme si c’était plutôt quatre fois (qu’une), Mme Lagarde, donc, y perdait son temps. Pas nous. On ne se lassait pas. On se la répétait. La somme! 45 millions d’euros. Un galion. 45 millions à M. et Mme Tapie pour un préjudice moral. M. Tapie fréquentait le ministère des Finances comme si ç’avait été un casino, on l’y voyait souvent, l’Elysée comme si ç’avait été un salon, on l’y voyait tout le temps, et au final, comme il se plaignait d’avoir subi un préjudice, moral le préjudice, et comme tout ce qui est moral est précieux à M. Tapie (à madame aussi), on lui avait fourni 45 millions d’euros. A ce titre. De préjudice moral. C’était quand M. Sarkozy était à l’Elysée. Le même Sarkozy qui prétendait encore, tout dernièrement, y retourner, et M. Fillon dirigeait le gouvernement et il prétend y aller à son tour, à l’Elysée, ils ne se sentent pas gênés, pourtant ce n’étaient pas 45 millions à eux, c’étaient 45 millions à nous, filés alors à M. et Mme Tapie. Leur préjudice. Préjudice ineffable. Préjudice au-delà de tous les préjudices connus. Bien au-delà. Une autre dimension du préjudice. On voudrait le décrire qu’on n’en finirait pas, tâche quasi impossible, un peu comme si, tenez, les 45 millions on se mettait à les compter centime par centime.

Le pointilleux, ici, dira : « Pardon, il n’est aucunement nécessaire de compter un par un jusqu’à 4 milliards et 500 millions de centimes, aucunement. » Là, on s’étonne, puisque le challenge supposé était de compter sous cette forme les 45 millions d’euros du couple Tapie : « Aucunement nécessaire? » demandons-nous. « Aucunement », réplique-t-il, le pointilleux. N’avoir point été assez pointilleuse en cette a aire, et même pas du tout pointilleuse, notons-le par parenthèse, était justement ce que le président de la Cour de Justice de la République reprochait à Mme Lagarde : les 45 millions d’euros s’en étaient allés du bien commun aux biens privés de M. et Mme Tapie sans que Mme Lagarde semblât y prêter attention. Alors que la finance, surtout quand elle est publique et au pluriel, en réclame, de l’attention. Le ménage Tapie, lui, ne cessait d’en réclamer : « Notre préjudice! Moral! » Le soir, à la table du dîner, elle : « Mon minou, où en es-tu de notre préjudice? » Lui : « Ça avance, minette, il a encore grimpé de 2 millions cet après-midi. » Minette : « Ça devrait encore monter. Je le sens, mon préjudice, il m’oppresse. » Son minou : « Je ne te dis pas où il en est, je te garde la surprise, t’en reviendras pas. » La citoyenne Tapie : « Tu crois que j’en serai guérie? Et toi aussi du tien, citoyen ? » Le citoyen : « Il y aura de quoi guérir nous deux. » La citoyenne : « Reprends donc du foie gras. »

Il était question d’un pointilleux. Aucunement besoin, voulait-il dire, pour tenter de se rendre compte, d’imaginer jusqu’à 45 millions : il fallait d’abord déduire de cette somme les impôts versés sur elle par les contribuables Tapie.

Ah ah ! Rions. Elle était non imposable. Un tel préjudice. Moral. Vous ne voudriez pas. On ne se lasse pas.

La somme! 45 millions d’euros. Un galion.