L'Obs

Réfugiés Forges-les-Bains, le village et les migrants

Forges-les-Bains, petite commune de l’Essonne, accueille depuis octobre un centre pour migrants. L’annonce de son ouverture avait provoqué une levée de boucliers. Qu’en est-il trois mois plus tard ? Chronique d’une bourgade sous tension

- Par GURVAN LE GUELLEC

La soirée restera inscrite pour longtemps dans la chronique villageois­e. Ce 8 septembre au soir, quand les élus, la préfète Josiane Chevalier et Aurélie El Hassak-Marzorati, la directrice générale adjointe d’Emmaüs Solidarité, arrivent à Forges-les-Bains, près de mille personnes les attendent derrière les murs du centre sociocultu­rel. Mille personnes à Forges, c’est considérab­le. « Un tel regroupeme­nt, on n’avait plus vu cela depuis le passage des chars du général Leclerc en 1944 », note un monsieur chic en costume d’été. Ce n’est pas la guerre. Mais l’heure est grave. Non seulement la petite commune de lointaine banlieue parisienne doit accueillir un centre d’accueil et d’orientatio­n (CAO) pour 190 migrants – uniquement des hommes de 18 à 40 ans – dans une vaste propriété de la mairie de Paris mais, l’avant-veille, un incendie inexpliqué a pris dans les locaux – un ancien orphelinat désa ecté depuis sept ans. Un incendie, cela ne s’était jamais vu, et cela fait peur. A Forges, commune de 3700 habitants confite dans sa tranquilli­té, il n’y a pas d’in- civilités, juste quelques cambriolag­es que l’on impute généraleme­nt aux jeunes des Ulis, la cité qui pointe ses tours au loin, au bout des champs, sur la route de Paris.

“UN CLIMAT DE HAINE”

Dans la grande salle Messidor pleine à craquer, l’air est moite et épais. La maire, Marie Lespert-Chabrier, accueillie par des huées, laisse rapidement la parole à la préfète, qui, assise sur l’estrade, déroule son topo, précis, technique, préfectora­l. « L’Etat seul compétent » en matière de politique migratoire, Paris débordée depuis un an par les flux de migrants, « l’urgence » imposant d’aménager le centre en plein été, avant même que les élus soient informés… Des invectives fusent. La conseillèr­e régionale FN Audrey Guibert est là, anonyme, en chemisier à fleurs, avec une trentaine de militants répartis dans la foule. Bonne oratrice, elle dénonce une « parodie de démocratie ». « Vous tous, assis à la tribune, vous avez validé l’arrivée des migrants, sans jamais en informer la population », lance-t-elle. Puis elle exige un référendum local. La salle,

remontée comme une pendule, applaudit. Comme elle reprendra un peu plus tard une « Marseillai­se » lancée à pleins poumons par les frontistes.

Des parents s’inquiètent pour leurs enfants. Des femmes – beaucoup de femmes – s’inquiètent pour leur sécurité. Comme cette dame blonde en robe à motif panthère : « Ici, à moins d’avoir des enfants, il n’y a rien à faire ; donc ces messieurs n’auront pas de vie sociale. Comment vous allez assurer leur bien-être mental, et notre sécurité? Parce que moi, je fais du jogging en forêt… » Quelques voix dissonante­s s’élèvent. Celle notamment de Fanny Brisson, la prof de théâtre du village. Tout le monde connaît la volcanique Fanny, grande animatrice des festivités locales depuis trente ans. Elle est sur les nerfs. « Vous me faites peur, vous me faites gerber », vitupère-t-elle sans qu’on sache très bien si elle s’adresse aux militants FN ou à ses concitoyen­s. A la sortie de la réunion, Aurélie El Hassak-Marzorati, la directrice d’Emmaüs chargée de la gestion du centre, parle d’un « climat de haine ». « Je n’ai jamais vécu cela jusqu’alors, mais je continuera­i à me battre pour que nous vivions tous ensemble. »

Le lendemain, Forges fait la une des médias, devenue subitement l’incarnatio­n de la France du repli sur soi. L’incendie, la réunion publique, tout s’entremêle. Emmanuelle Cosse, la ministre du Logement, dit son effarement. Le préfet de région Jean-François Carenco convoque les mânes du passé – « on sait où ça commence, on ne sait pas où ça s’arrête ». Même l’Eglise catholique s’inquiète pour le salut de ses âmes. « Tout cela est de sinistre mémoire, tranche le père Christian Rémond, responsabl­e du secteur pastoral. J’y vois une perte de valeurs navrante, et le symptôme d’une terre en voie de déchristia­nisation. »

“LA PRÉFÈTE, ELLE NOUS BALADE”

Marie Chabrier non plus « n’[a] pas retrouvé [sa] population ». Jeune, féministe, ancienne militante des Jeunesses ouvrières chrétienne­s et salariée de la CFDT, la maire de Forges, élue à la tête d’une liste d’intérêt général, a l’obsession de ne pas diviser sa population. En conséquenc­e, elle accompagne l’ouverture du centre, « puisque de toute façon l’Etat a décidé qu’il ouvrira », mais refuse de se positionne­r pour ou contre officielle­ment. Quid alors de ses conviction­s personnell­es ? « Je ne partage pas les peurs de mes concitoyen­s, mais je les comprends », ditelle seulement. Pour les Forgeois, cette ligne de crête est dure à suivre. « Mme la maire veut faire plaisir à tout le monde, sauf que ce n’est pas possible », résume Marie-Hélène Gambart, son adjointe à la cohésion sociale, femme forte et forte femme, qui fait face à ses côtés.

Le samedi 10 septembre au matin, Mme la préfète est de retour dans le village, sous le préau de l’école. Pas d’invectives cette fois – la réunion réservée aux parents d’élèves est filtrée par la gendarmeri­e. Mais un petit happening – une cinquantai­ne de personnes brandissen­t le prénom de leur enfant dessiné au feutre de couleur sur des feuilles A4. Suivent des applaudiss­ements nourris pour les pandores, qui, c’est promis, feront régulièrem­ent des rondes à l’heure des sorties. La préfète réitère les engagement­s qu’elle vient de prendre auprès de la mairie : une durée de fonctionne­ment réduite à deux ans, au lieu des quatre envisagés initialeme­nt, une capacité limitée à 90 migrants, et l’installati­on d’une vidéosurve­illance, « dont le but, entendons-le bien, n’est pas de surveiller les résidents mais d’assurer leur sécurité ».

Le voisinage du centre d’accueil et de l’école du village constitue un abcès de fixation pour de très nombreux parents. Nancy et Mickaël sont dégoûtés. « La préfète, elle nous balade, on nous dit qu’il n’y a aucun risque ; le discours, c’est Bisounours. » Ils habitent au Parc, le lotissemen­t des gens du voyage sédentaris­és. Une communauté soudée, installée à Forges depuis l’aprèsguerr­e, suspicieus­e face à l’étranger et très attachée à la sécurité de ses rejetons – un

enfant au primaire a d’ores et déjà été déscolaris­é. L’angoisse, c’est aussi celle des « pendulaire­s », ces cadres comme Irène qui s’infligent deux heures de trajet matin et soir et attendent en retour que leur famille soit mise à l’abri des menaces – réelles ou fantasmées – de la métropole. « On nous dit que tout se passe bien, ce n’est pas vrai, ma fille de 11 ans a vu sa grand-mère se faire agresser à Paris à côté d’un camp de migrants, maintenant, elle n’ose plus sortir ; je veux qu’elle soit protégée. »

« Pour », « contre », « pour sous conditions » (présence de femmes, de familles, une capacité réduite à 45 résidents)… En ce samedi 24 septembre, une fébrilité inhabituel­le plane dans les salons de la mairie. Conforméme­nt à la demande du FN et contre l’avis de la préfète, l’équipe municipale a organisé un sondage consultati­f. Le résultat est sans appel : 61% de non à l’arrivée des migrants, contre seulement 11% de oui et 28% de oui sous conditions. C’est peu mais la maire se raccroche à son optimisme existentie­l. « Je ne nie pas le sentiment de rejet, mais j’y vois moins de la xénophobie qu’une peur de l’inconnu. Le FN, à chaque élection, est en dessous de ses moyennes nationales… » Quand Mme Chabrier déprime, elle pense à Zoé, sa fille de 6 ans, qui a « un petit peu peur des messieurs qui viendront au centre » parce qu’elle ne les connaît pas. « Je lui ai demandé ce qu’on pourrait faire. Elle m’a répondu : “Eh bien, tu sais, maman, tu n’as qu’à organiser une fête, comme ça, on se connaîtra”. »

“JE CONNAIS LES AMBIANCES DE MECS… ”

Les feuilles commencent à roussir, et l’on a rendez-vous à 9 heures un samedi dans la belle maison en meulière de Luc Martin, dont le jardin descend en pente douce vers le ruisseau du village. Luc a invité William, Sébastien, Régis et quelques autres, tous quadras, tous pères de famille. Ce sont eux qui mènent la fronde avec leur collectif Forgeons l’avenir. Une fronde 2.0, montée grâce au huis clos villageois et à la magie des réseaux sociaux. En quelques jours, ils ont mis sur pied un site d’informatio­n d’une réactivité redoutable, ont lancé une pétition signée par plus de 2 000 internaute­s, et multiplien­t les happenings – Scotch sur la bouche lors d’un conseil municipal, panonceaux brandis lors de la réunion à l’école.

Luc, cadre dirigeant dans la filière française d’une grande boîte internatio­nale, a une dent contre les hauts fonctionna­ires. « Ils placent des migrants comme des palettes d’eau minérale en supermarch­é », dit-il. Sa pratique du rugby structure for- tement sa pensée : « Je n’ai aucun préjugé raciste, mais je connais les ambiances de mecs, et les dérives qui vont avec. » Hortense, sa grande fille de 18 ans, prend régulièrem­ent le bus pour Paris. « Elle risque de se retrouver seule, entourée d’hommes en groupe que je ne connais pas ; c’est peut-être dément, mais ça m’angoisse. » Régis, infirmier dans un service d’urgences, a eu pour sa part une « simple réaction de voisin » : « On me dit “Tu es un facho”, mais quand je fais remarquer que le centre, c’est au bout de mon jardin, les gens voient les choses différemme­nt. » Quant à Sébastien Roger, commercial en recherche d’emploi, il le répète inlassable­ment : « Nous ne sommes pas contre l’accueil des migrants, nous sommes pour un centre limité à 45 résidents et réservé aux familles, plus en phase avec la sociologie forgeoise. C’est LA solution qui permettra à tout le monde de sortir par le haut. Avec cette affaire, on a beaucoup appris. Sur le décalage entre élus et population, le fonctionne­ment des médias, la toute-puissance et l’arbitraire de l’Etat… »

“CES PAUVRES GENS, ILS N’Y SONT POUR RIEN”

Les Forgeois redécouvre­nt l’Etat et son pouvoir régalien. La préfète découvre, elle, une population ayant perdu toute déférence vis-à-vis de l’Etat. « Je reçois des mails comminatoi­res, on me filme sans autorisati­on, on me coupe la parole, au-delà de ma personne, c’est la République qu’on méprise. » Après avoir fait face à la foule hostile le 10 septembre, Mme Chevalier a décidé, en cette fin de mois, de communique­r chez elle et sur invitation. Les conseiller­s municipaux ont été convoqués dans les salons de la préfecture à Evry. Des représenta­nts des trois monothéism­es prennent la parole sur les dangers du repli sur soi. Le rabbin de Ris-Orangis, Michel Serfaty, très en verve, appuie son discours sur le Deutéronom­e, chapitre 23, versets 15 et 16 : « Tu ne livreras pas le fugitif, tu le mettras au coeur de ta cité, tu ne commettras aucune injustice à son égard. » « Les textes sont très clairs : il faut que le migrant chez nous se sente bien dans sa peau », conclut le saint homme.

Puisque Dieu le veut, et la République aussi, les migrants seront donc

“AVEC CETTE AFFAIRE, ON A BEAUCOUP APPRIS SUR LE DÉCALAGE ENTRE ÉLUS ET POPULATION.” SÉBASTIEN,PORTE-PAROLE DU COLLECTIF FORGEONS L’AVENIR

accueillis à Forges. Le 3 octobre, plusieurs camionnett­es viennent déposer les 45 premiers résidents devant le centre : des Afghans, et que des hommes. Les mamans jettent un oeil derrière les grilles. Régis prend des photos. William, qui habite juste à côté, est sur le trottoir, aux aguets. Mais ce soir-là, Forges ne connaîtra pas de manifestat­ion. « Une fois de plus, personne ne nous a prévenus, mais on ne va pas jeter l’opprobre sur ces pauvres gens, ils n’y sont pour rien, décrète Sébastien. Ils sont là, on les accueille, ça ne nous empêchera pas de faire entendre notre voix. »

Deux jours plus tard, les premiers migrants font leur apparition dans le village. Emmaüs leur a expliqué que leur venue avait suscité quelques réserves, mais sans plus – « on ne voulait pas dramatiser, ils ont déjà connu assez de galères », explique Bruno Morel, le grand patron de l’ONG. Des petits groupes vont faire le plein de pommes à l’épicerie de M. Belbaraka, ouverte tard pour servir sa clientèle de cadres pressés. Et glanent quelques épis de maïs dans les champs à proximité. On croise Hakimullah, regard bleu opalescent et cahier rouge à la main. Le jeune Afghan qui, à Kaboul, fut policier, est extrêmemen­t liant. Il a appris l’anglais lors de son périple de neuf mois, du désert baloutche au campement parisien où il est arrivé à la fin de l’été, s’ennuie un peu dans ce village « entouré de jungle », où seul le quadrillag­e des lignes à haute tension rappelle la proximité de Paris, et profite de toutes ses rencontres pour essayer d’améliorer son français. Hakimullah le loquace aime beaucoup les enfants, jouer avec eux – « en Afghanista­n beaucoup children dehors », mais, dans son précédent lieu d’accueil – un hangar « avec beaucoup de bruit » géré par le Secours islamique de Massy – les gens de l’organisati­on lui ont répété qu’il ne fallait « jamais embrasser les petits Français ». D’ailleurs, il a bien vu que les gens ici le regardaien­t « bizarremen­t ». Il s’essaie à des « bonjour », ne reçoit guère de réponse. Si ce n’est celle de Marc le très affable garde champêtre du village en faction devant l’école, qui lui conseille par prudence de rentrer au centre, alors que la sonnerie retentit. L’ambiance est encore tendue. Le collectif a maintenu l’appel à manifester lancé pour le samedi suivant.

“LES FRANÇAIS ONT TROP BON COEUR”

Le jour J, le FN est venu en grande délégation, avec une demi-douzaine de conseiller­s régionaux, dont son leader francilien, Wallerand de Saint-Just, avocat de la famille Le Pen et du parti. Le Front défile au coeur du cortège de 350 Forgeois. Mais il n’aura pas droit à sa « Marseillai­se » sous les fenêtres de la mairie. Le collectif, soucieux de son image, a prévu le coup, et William, le « voisin d’à côté », parvient à susciter une bronca générale au cri d’« On n’est pas FN, on n’est pas là pour ça ». Les militants se croyaient en terrain conquis. Ce n’est pas le cas. « “La Marseillai­se”, ça n’est ni l’endroit, ni le moment, leur explique Luc Martin. On vous remercie d’être venus, mais cette manifestat­ion ne vous appartient pas. » « Les Français ont trop bon coeur », grogne une jeune femme très remontée.

Le village s’enfonce peu à peu dans sa torpeur automnale. Forgeons l’avenir « continue à nous emmerder dès qu’ils le peuvent », grommelle l’adjoint Bernard Terris, un proche de Mme Chabrier. Mais, côté migrants, « ça se passe plutôt bien, reconnaît William. Ils vont même prendre leur café et acheter leurs clopes chez Gilles », le même qui se promettait pourtant de leur servir des « apéros chorizo » s’il leur venait l’idée d’entrer dans son bar-tabac. L’hostilité des habitants ne se concentre plus sur les migrants mais sur… Paris. Un Paris générique, réunissant l’Etat « autiste », les médias paresseux – un reportage de France 2 axé sur le bar de Gilles est parvenu à faire l’unanimité contre lui, et les élus nationaux « absents et coupés du peuple ». Au premier rang desquels Emmanuelle Cosse et Anne Hidalgo, la maire de Paris, propriétai­re des lieux. « Les choses se sont faites dans notre dos, on a été pris pour des rigolos depuis le début, pointe Marie Chabrier. Ce manque de considérat­ion a fait le jeu des extrémisme­s, alors qu’à Forges, il y a un vrai réseau de solidarité. »

Le dimanche 16 octobre, c’est le grand jour, celui… de l’immuable Fête de la Châtaigne – spectacles de clown, art équestre et attraction­s diverses –, qui, chaque année, rassemble la communauté villageois­e. On croise Hakimullah à l’arrêt de bus de retour d’une escapade à Paris. Il part au centre chercher Hafez, son ami, parfait francophon­e, et nous rejoint avec cinq puis dix Afghans, qui s’égaillent entre les stands d’échasses, de trampoline ou d’équilibris­me. Plusieurs habitants viennent les saluer avec une cordialité appuyée, comme s’il s’agissait de grands malades en rémission. « Nous sommes très heureux que vous soyez ici », leur assure Dorine, l’épouse de Bernard Terris, costumée en Auguste.

LE 3 OCTOBRE, PLUSIEURS CAMIONNETT­ES VIENNENT DÉPOSER LES 45 PREMIERS RÉSIDENTS : DES AFGHANS, DES SOUDANAIS, ET QUE DES HOMMES.

“BEAUCOUP GENS SYMPAS”

Les températur­es baissent, et de plus en plus de Forgeois semblent s’inquiéter du confort de leurs hôtes. « Il leur manque bonnets, écharpes et sous-vêtements non usagés », liste l’adjointe à la cohésion sociale, Marie-Hélène Gambart. La « old lady », comme disent les Afghans, est la seule personne du village autorisée par Emmaüs à pénétrer dans le centre. Elle parle beaucoup aux résidents, « surtout avec les mains ». Les échanges pour le reste sont très limités. Et pour cause, la défiance a changé de camp. Ce n’est plus Forges qui craint l’étranger, ce sont les personnels du centre qui regardent les villageois avec suspicion. « Ils nous écoutent par politesse, mais ce n’est pas spontané, déplore Mme Gambart, l’adjointe à la cohésion sociale. En même temps, on peut les comprendre, vu comment ils ont été accueillis. »

La situation devient pesante. A tel point que, fin octobre, les élus demandent à la préfète d’intervenir. Une réunion d’informatio­n est organisée dans la salle Messidor, là où le village, deux mois plus tôt, s’était écharpé : 150 bénévoles potentiels, dont une bonne moitié de Forgeois, ont répondu présent. Certaines offres de services sont déconcerta­ntes. Sébastien Roger et Luc Martin proposent d’intégrer des migrants dans leur équipe de rugby – « on joue sans contact, l’idée n’est pas de les fracasser ». Un autre membre du collectif Forgeons l’avenir fait don de huit ordinateur­s pour un futur cyberespac­e. Cinq fois de suite en une petite heure, Marie Nicaise, la responsabl­e territoria­le d’Emmaüs, répète « je suis surprise, vraiment surprise ». « Vous êtes nombreux, on ne s’y attendait pas, on va revenir vous voir. » La jeune femme est sortie marquée de la première réunion en septembre : « C’était très violent, j’étais assise au premier rang, il fallait entendre ce qui se chuchotait autour de moi. »

Le mercredi 9 novembre, Mme Nicaise, comme promis, est de retour en mairie. Un groupe de travail a été constitué pour permettre aux habitants de se tenir au courant de la vie du centre – la moitié des inscrits sont membres du collectif Forgeons l’avenir. Assises à nos côtés, Caroline Bosselut, organisatr­ice de bals folk, dont le « job dans la vie est faire faire des rondes aux gens », est plus que perplexe : « Ça va encore déraper, j’ai honte des gens de mon village. » La suite, pourtant, est assez constructi­ve. Caroline fait acte de candidatur­e pour « organiser un moment festif où l’on se découvrira­it ». Sa propositio­n est bien reçue. Cela l’étonne et elle en reviendrai­t presque sur son jugement premier.

Dans les villages gaulois, les grandes fâcheries se terminent toujours par un banquet. Ce serait même une des clés de l’identité française : débattre, s’engueuler et faire table commune pour mieux se retrouver. Ce mercredi 23 novembre, après deux mois de fonctionne­ment, le centre ouvre enfin ses portes aux habitants ayant déjà fait des dons ou s’étant proposés au bénévolat. Caroline, retenue par sa petite famille, n’a pas pu venir avec sa flûte. Mais Mme Chabrier et ses enfants ont préparé un gâteau au chocolat. Et Hakimullah, avec d’autes résidents, s’est rendu à l’épicerie « pour faire cuisine afghane ». Il ne manque que les membres du collectif Forgeons l’avenir, qui, par un hasard malheureux et un brin suspect, ont été oubliés. Le grand pardon attendra. Hakimullah tient à utiliser son français balbutiant pour résumer la fête : « beaucoup parlé, beaucoup dansé, beaucoup mangé. Beaucoup gens bien. Village vraiment sympa. »

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 ??  ?? EN CHIFFRES 167 centres d’accueil et d’orientatio­n (CAO) ont été créés en région entre septembre 2015 et septembre 2016, soit 3 000 places. 79 centres ont été créés en Ile-de-France, soit 7 500 places. 283 nouveaux centres seront ouverts en région d’ici à la fin 2017, soit 9 000 places supplément­aires. Manifestat­ion de protestati­on contre les conditions d’ouverture du centre, en octobre.
EN CHIFFRES 167 centres d’accueil et d’orientatio­n (CAO) ont été créés en région entre septembre 2015 et septembre 2016, soit 3 000 places. 79 centres ont été créés en Ile-de-France, soit 7 500 places. 283 nouveaux centres seront ouverts en région d’ici à la fin 2017, soit 9 000 places supplément­aires. Manifestat­ion de protestati­on contre les conditions d’ouverture du centre, en octobre.
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Pendant un conseil municipal, des villageois mécontents donnent à la maire des boulettes de papier froissé, « symboles du mépris de la population ».
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Les nouveaux arrivants, venus des campements parisiens, sont relogés dans un ancien orphelinat.
 ??  ?? Mi-octobre, c’est la fête de la Châtaigne. Hakimullah et son ami Hafez sont ravis de sortir du centre.
Mi-octobre, c’est la fête de la Châtaigne. Hakimullah et son ami Hafez sont ravis de sortir du centre.

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