L'Obs

Le point de vue de Nicolas Colin

associé fondateur de la société d’investisse­ment TheFamily et professeur associé à l’université Paris-Dauphine

- NICOLAS COLIN, N. C.

La formation revient en force dans l’actualité politique. La propositio­n d’Emmanuel Macron de rendre l’assurancec­hômage plus universell­e passe par la mise en place d’un « service public de la formation et de l’activité ». Le compte personnel d’activité (CPA), dont le lancement est imminent, va être focalisé dans un premier temps sur l’accès à une offre de formation continue : l’objectif est que les travailleu­rs se forment à leur initiative plutôt qu’avec la bénédictio­n de leur employeur.

La passion des dirigeants politiques pour la formation n’est pas nouvelle. En 1992, Bill Clinton a été le premier à la mettre au coeur de son discours. En 2000, avec la « stratégie de Lisbonne », l’Union européenne s’est mise à promouvoir la « formation tout au long de la vie » comme un facteur de compétitiv­ité dans ce que l’on appelait encore l’« économie de la connaissan­ce ».

Aujourd’hui, la formation est partout. Elle est l’échappatoi­re préférée de la gauche face à la montée du chômage : dans un monde où « l’Etat ne peut pas tout » (dixit Jospin), se former est présenté comme la garantie de rester employable dans une économie où l’on change plus souvent d’employeur, de lieu de travail et même de métier. La droite s’est convertie elle aussi, parce qu’il n’y a « pas de droits sans devoirs » : s’ils veulent bénéficier des allocation­s chômage, alors les demandeurs d’emploi doivent se soumettre à une formation – et bien penser à signer la feuille d’émargement.

Malheureus­ement, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Le chômage continue d’augmenter. Surtout, l’offre de formation elle-même n’a pas beaucoup changé. Les mêmes formateurs, financés par le même système paritaire, forment les travailleu­rs en réponse aux besoins exprimés par les mêmes donneurs d’ordre. Les électeurs ne sont pas dupes, ils réalisent que les formations sont parfois des voies de garage, qu’on retrouve rarement un emploi de qualité à l’arrivée. Plus de formation ne rend pas automatiqu­ement l’économie plus compétitiv­e et plus inclusive.

Si nous sommes dans cette impasse, c’est que le monde a changé. Dans notre économie en transition, le savoir-faire se périme au rythme du progrès technologi­que : il faut se former plus souvent durant sa vie active. De là vient une approche plus court-termiste de la formation continue : on n’investit plus dans une formation générale avec l’espé- rance d’un retour pendant une ou deux décennies, mais dans une formation pratique pour une applicatio­n immédiate. L’environnem­ent de travail est lui-même de plus en plus « augmenté » par des logiciels qui s’adaptent et informent le travailleu­r sur la qualité de son travail : celui-ci apprend donc sur le tas et beaucoup plus vite. Enfin, parce que la formation est de plus en plus appliquée, le vivier des formateurs s’élargit, au-delà des formateurs profession­nels, à tous les praticiens qui ont quelque chose à partager : grâce à eux, les ressources de formation se banalisent – y compris en devenant accessible­s gratuiteme­nt sur Wikipédia, Facebook, Medium ou YouTube.

Bien sûr, se former, c’est aussi s’intégrer à un groupe qui va stimuler l’effort d’apprentiss­age et, au fil des rencontres et des échanges, faire naître des opportunit­és. L’individual­isation des parcours profession­nels, paradoxale­ment, exige de plus en plus d’interactio­ns entre les individus! Sur internet, d’immenses plateforme­s permettent déjà à ceux qui veulent apprendre un nouveau métier de poser des questions et de passer plus vite à la pratique. Mais cette dimension « sociale » de la formation n’est pas promue par le système en place, encore focalisé sur le profil des formateurs, le contenu de la formation et la conformité aux besoins exprimés par les employeurs.

De nouveaux modèles émergent pour répondre aux nouveaux besoins : le Wagon, qui permet d’apprendre à coder en neuf semaines ; Hopwork, qui organise des événements pour former les free-lances membres de son réseau ; Switch Collective, qui apprend aux actifs en quête de changement à inventer le parcours qui leur correspond. Malheureus­ement, ces nouveaux entrants sont maintenus à la marge. La formation profession­nelle est encore une profession réglementé­e, protégée par des barrières à l’entrée, où les plus anciens peuvent gagner beaucoup d’argent sans faire l’effort d’innover.

Comment préparer les travailleu­rs à la transition quand on s’appuie sur un système qui récompense l’ancienneté et la conformité? Tant que nous restons prisonnier­s du statu quo, les électeurs ne croient pas aux promesses de « compte personnel d’activité » ou de « service public de la formation et de l’activité ». Il est temps de faciliter l’irruption des nouveaux entrants et de rendre la formation tout au long de la vie plus horizontal­e, innovante et ouverte.

« LE SAVOIR-FAIRE SE PÉRIME AU RYTHME DU PROGRÈS TECHNOLOGI­QUE. »

Newspapers in French

Newspapers from France