L'Obs

L’humeur de Jérôme Garcin

- J. G. Par JÉRÔME GARCIN

Ils sont encore tout chauds, ces portraits de quelques grands comédiens. On pourrait croire que Françoise Sagan vient de les écrire. Pas seulement parce que les modèles lui ont survécu, mais aussi parce que ces articles, vieux de trente ans, ont formidable­ment résisté au temps. D’Adjani, dont elle supprime le prénom pour bien signifier sa consécrati­on, elle écrit qu’elle est faite pour jouer « comme certains hommes pour tuer », mais qu’elle sait défendre « l’essentiel d’elle-même : sa vulnérabil­ité ». Chez Gérard Depardieu, elle est en même temps fascinée par « le corps manuel » et bouleversé­e par « cette voix d’outre-vie, d’enfance et de virilité mêlées », qui la fait pleurer à chaudes larmes. Derrière l’heureux Michel Blanc, elle s’étonne de trouver un homme « solitaire, blessé, déconcerté ». A Brigitte Bardot, la désormais recluse de la Madrague, elle applique le mot terrible de Chamfort : « Il faut que le coeur se bronze ou se brise. » Et Catherine Deneuve, qu’elle appelle si joliment « la fêlure blonde », la reçoit dans son appartemen­t pour lâcher des confidence­s sur sa vocation empêchée (« J’aurais aimé être antiquaire »), le bonheur (« Il me fait peur »), ses moments de « grande dépression » et sur le passé, qui ne passe pas : « Je suis persuadée, avoue l’actrice, d’avoir eu un traumatism­e dans mon éducation qui m’a donné cette impression de culpabilit­é perpétuell­e dont je ne suis jamais arrivée à me débarrasse­r. » D’un naturel si pudique, Françoise Sagan, qui doutait beaucoup et ne se préférait jamais, était follement douée pour aimer, admirer et faire parler celles et ceux qu’elle aimait et admirait. Relire, ici, ses mémorables rencontres, délicieuse­ment intimidées, avec Tennessee Williams, Orson Welles, Federico Fellini, Jean-Paul Sartre, Billie Holiday, Ava Gardner ou Yves Saint Laurent. Autant de monstres sacrés croqués et conquis par notre charmant petit monstre. Si l’on ajoute à cette galerie de portraits des récits de voyages, des critiques de films, des éloges de la vitesse, du jeu, de Saint-Tropez, de Cajarc, du rire et du cheval, on tient, pour pas cher (Livre de poche, 8,90 euros), le cadeau de Noël idéal : c’est le gros volume relié de toutes les « Chroniques » signées par Françoise Sagan entre 1954 et 2003, y compris celles déjà rassemblée­s dans « Avec mon meilleur souvenir » ou « Et toute ma sympathie ». Une sorte de Pléiade, mais version hard discount, où seuls sont dispendieu­x la prose de Sagan – du vif-argent –, sa précieuse modestie et son coeur en or.

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