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L’UN L’AUTRE, PAR PETER STAMM, TRADUIT DE L’ALLEMAND PAR PIERRE DESHUSSES, CHRISTIAN BOURGOIS, 174 P., 17 EUROS.

- DIDIER JACOB

Ils viennent de rentrer de vacances. Ils sont fatigués par le voyage, mais ils ont de l’iode plein les poumons et l’Océan dans la tête. Ils ont fait quelques courses dans une station-service pour pouvoir, le frigo étant vide, faire dîner les enfants. Maintenant que ces derniers sont couchés, Thomas et Astrid peuvent enfin souffler. Sur le banc devant la maison, ils regardent le soir tomber en buvant un verre de vin. Tout est calme et silencieux, sauf que Konrad, le cadet, s’est réveillé. Astrid monte le voir à l’étage, vide la valise, trie le linge sale. Thomas se lève. Il s’avance dans le jardin, tourne délicateme­nt la poignée de la petite porte ouvrant sur l’extérieur, qu’il referme sans faire de bruit. Il fait quelques pas dans la rue, continue son chemin alors que la lumière finit de décliner, traverse un pont en veillant à ne pas glisser. Pendant qu’Astrid se prépare à dormir, sans un mot, Thomas s’enfuit. Souhaite-t-il tourner le dos à sa vie trop bien réglée, ou est-il plutôt happé métaphysiq­uement par l’immensité du dehors, irrésistib­lement attiré par la promesse de l’inconnu ? Les deux, sans doute. Tandis qu’Astrid et les enfants tentent de préserver l’illusion d’une vie normale, la police se lance à la recherche de l’homme disparu sans disposer de nombreux indices. Quant à Thomas, il continue d’explorer sans relâche la campagne suisse, s’enfonçant dans le silence à la manière de l’écrivain Robert Walser, marchant vers sa fin dans un paysage enneigé.

Un jour, son existence émet un signal faible sur l’écran radar des enquêteurs – il s’est servi de sa carte bancaire. C’est dans un magasin près du lac de Zurich. Avec les enfants, Astrid se rend aussitôt sur les lieux et tend la photo de Thomas à la vendeuse. Oui, c’est cet homme qu’elle a vu, le matin même, achetant un sac à dos, un couteau de poche et des chaussures de marche. Il est vivant, donc. On connaît l’art économe de l’auteur de « Tous les jours sont des nuits », qui touche ici à une sorte de sommet implacable et sublime. Quelle vie mérite qu’on y soit fidèle ? semble s’interroger Peter Stamm (photo), qui se garde bien de conclure. C’est par une subtile pirouette que l’écrivain suisse invite le lecteur à formuler ses propres hypothèses. Astrid, quant à elle, n’en a jamais douté : un jour, Thomas sera de retour. Par sa foi touchante et sereine, elle s’apparente aux héroïnes des cycles antiques, où la reine attendait patiemment le retour de son roi.

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