L'Obs

Brève rencontre Thierry Pech, directeur de Terra Nova

Thierry Pech, le directeur de Terra Nova, assume sa proximité avec l’ancien ministre de l’Economie, mais récuse l’idée que le club de réflexion qu’il dirige en a fait son poulain. Il vient par ailleurs de publier “Insoumissi­ons”

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Le chagrin, ça épuise. » Ce mardi de janvier, Thierry Pech est triste. Il a du mal à parler de son dernier livre, « Insoumissi­ons. Portrait de la France qui vient » (Seuil). Sur France-Inter, le matin même, il rendait hommage à François Chérèque, l’ancien secrétaire général de la CFDT et président de Terra Nova, le think tank qu’il dirige. Il continue, meurtri par la mort de son ami et mentor. L’intello a envie de raconter sa CFDT, le syndicat qu’il a rejoint au début des années 2000 pour être la plume du secrétaire général, d’expliquer comment, grâce à elle, il a réussi à réconcilie­r les deux faces de sa personnali­té : le jeune provincial issu d’un milieu modeste qu’il était et la figure de l’élite parisienne qu’il est devenu, une fois son diplôme de Normale-Sup en poche. Il souligne la cohérence du syndicat réformiste et de « sa » gauche, celle de Pierre Mendès France et de Michel Rocard, qui peut travailler avec tous les « progressis­tes », y compris les centristes.

Dans la même ligne, « Insoumissi­ons » rime davantage avec « Révolution », le livre d’Emmanuel Macron, qu’avec « la France insoumise », slogan de Jean-Luc Mélenchon! D’ailleurs, à l’évocation du fondateur d’En Marche!, l’austère Thierry Pech se déride. Le voile de chagrin se lève. L’énergie revient. Va-t-il le soutenir ? « Terra Nova ne roule pour personne et ne se prononcera pas sur les programmes tant qu’il n’y aura pas de leader à gauche », martèle-t-il, très clair et très attaché à la neutralité de son think tank. Son conseil d’administra­tion – qui compte le secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, Matthias Fekl, pas du tout macronien, ou Aziz Ridouan, conseiller de Manuel Valls – y veille. Ses équipes aussi.

Ce n’est cependant un secret pour personne que les deux hommes s’apprécient. Ils se sont croisés à la revue « Esprit », se sont retrouvés quand Macron était à l’Elysée puis au ministère de l’Economie. Thierry Pech, qui, lorsqu’il était éditeur au Seuil, avait l’art de débusquer les talents (Thomas Piketty, Esther Duflo, Eric Maurin, Louis Chauvel…), a été séduit. Il savoure leur « proximité intellectu­elle » et une correspond­ance nourrie… de textos. Il se félicite des positions de l’ancien ministre contre la déchéance de nationalit­é, qui a glacé les relations du patron de Terra Nova avec l’autre héritier de la deuxième gauche, Manuel Valls.

Comme Macron, Thierry Pech est convaincu que les clivages traditionn­els ne fonctionne­nt plus. Tout son livre consiste à démontrer que les insoumissi­ons ne sont ni de droite ni de gauche, ni populaires ni bourgeoise­s, mais traversent toutes les strates, toutes les classes. « Le modèle qui a été construit après guerre, celui de la société salariale, est épuisé. Il disait : je te donne une protection – sécurité profession­nelle, éducation et pouvoir d’achat –, en échange de quoi tu te plies à la discipline du salariat, tu consommes et tu renonces aux radicalité­s politiques. » Aujourd’hui, le salariat craque par les deux bouts. Certains n’y ont plus accès, enchaînant les petits boulots, devenant entreprene­urs par nécessité. D’autres le sont par choix parce qu’ils ne supportent plus les entreprise­s bureaucrat­iques. La consommati­on de masse est remise en question par le citoyen critique, soucieux d’environnem­ent et d’emploi local, et par l’acheteur compulsif, qui veut de l’authentiqu­e. Le modèle politique, à son tour, craque. A quoi doit ressembler le nouveau contrat social? « Cela reste à écrire », note Thierry Pech. Il plaide pour une « politique de l’autonomie », qui ne serait « pas une politique libérale mais une politique sociale pour un temps libéral ». Une jolie formule, qui pour l’instant sonne encore un peu creux.

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Pour Thierry Pech, « Terra Nova ne roule pour personne et ne se prononcera pas sur les programmes tant qu’il n’y aura pas de leader à gauche ».

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