L'Obs

Voyage en France (2/16) « Uber m’a vendu du rêve… »

Chaque semaine, pour prendre le pouls du pays à la veille du scrutin présidenti­el, “l’Obs” retourne à la rencontre de ces Français qui ont été au coeur des enjeux politiques, économique­s et sociaux du quinquenna­t

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Niveau 2, étage de la chaussure. Le centre d’accueil des « partenaire­s Uber Paris » se cache à Aubervilli­ers, au milieu des grossistes d’un gigantesqu­e centre commercial. Ce lundi, ils sont une cinquantai­ne à faire la queue en silence, chemise cartonnée sous le bras, bonnet vissé sur la tête. Principale­ment des hommes, plutôt jeunes. La France de la diversité black et beur. « Appelez-moi Maxime », suggère en riant un chau eur qui préfère ne pas dévoiler son identité. Depuis quinze ans, Maxime travaille dans le « transport aéroport » et a monté une petite société de VTC avec un ami, d’origine marocaine comme lui. Uber arrondit ses fins de mois. « On n’a pas le choix, ils nous ont pris tout le business. Alors, pour compléter, on allume l’appli », explique le trentenair­e en dénonçant « une économie faite pour plaire aux multinatio­nales et aux Américains. Uber s’est engou ré dans la brèche, et personne ne l’en a empêché. Normalemen­t nos élus sont là pour nous protéger. Mais ils n’ont rien fait. Et je suis aujourd’hui comme le mouton qu’on mène à l’abattoir ».

Six jours sur sept, douze heures par jour… la semaine type d’un chau eur Uber. Dans les berlines sombres, pas question de se plaindre. Ouvrir la porte, proposer la petite bouteille d’eau, sourire. Et croiser les doigts pour que le client ne fasse pas de réclamatio­n : Uber a la déconnexio­n facile. « J’ai intégré la plateforme il y a un an. J’ai fait leur formation et j’étais bien noté – 4,58 sur 5 ! Un jour une dame leur a écrit que mon pare-brise était cassé. C’était faux mais impossible de me faire entendre. Ils ont coupé mon compte avant le week-end ! » Omar a apporté la photo du pare-brise impeccable et ne décolère pas. Ancien magasinier, le jeune père de famille d’origine sénégalais­e prie pour retrouver un emploi salarié : « Uber m’a vendu du rêve, mais je commence tous les jours à 4 heures du matin et cela fait deux mois que je ne me suis pas versé de salaire. » Dégoûté par l’entreprene­uriat à la sauce Uber, il ne comprend pas que François Hollande, pour qui il a voté, « ait imposé cette loi travail dont on ne voulait pas ». « Soit on est avec le peuple, soit on ne l’est pas », s’indigne-t-il. Peu convaincu par les propositio­ns « peu réalistes » d’un Mélenchon, et méfiant à l’égard de la droite « qui défend les riches », il glissera dans l’urne un bulletin Macron. Sans rancune pour celui qui a amorcé la loi travail… La jeunesse du candidat le séduit. Abdel aussi a voté Hollande et votera également Macron : « Il est concret, moins politicien. Et puis c’est quelqu’un qui a déjà travaillé. » Visage poupin encapuchon­né dans une parka fourrée, ce quadragéna­ire d’origine algérienne est chau eur de VTC depuis un an. Il gagne environ 1500 euros en travaillan­t soixante-douze heures par semaine mais ne se plaint pas : la plateforme lui «a remis le pied à l’étrier après le chômage ». Tout comme Karim : « J’ai eu un passage “compliqué”. Uber m’a redonné le goût du travail. Il n’y a qu’eux pour vous embaucher quand vous êtes en galère. » Mais à quel prix ? Aucun diplôme, une famille modeste d’origine algérienne, quelques « magouilles » par le passé, le jeune homme a peu d’espoir que sa vie change, et broie du noir avant de reprendre le volant : « Je travaille comme un dingue. Je donne 25% de ce que je gagne à Uber et 110 euros par jour à un capacitair­e pour payer la voiture. Ils nous disent qu’on aura des salaires de 2 000 à 2500 euros par mois. Et à la fin on gagne le smic. Franchemen­t je n’imaginais pas cela. » Ni Macron ni Fillon… Karim a 20 ans et ne votera pas en avril : « Cela ne me tente pas. Plus on avance et plus c’est la galère. » Un jeune postier d’origine sénégalais­e s’engou re dans l’ascenseur : « Je vais tester leur formation et peut-être quitter La Poste. Dans la queue, quelqu’un m’a dit qu’il gagnait 300 euros par jour. » (Les prénoms ont été changés.)

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Les chauffeurs Uber bloquent la porte Maillot à Paris pour dénoncer leurs conditions de travail et réclamer une meilleure rémunérati­on, le 15 décembre 2016.

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