Droite Madeleine Bazin de Jessey, la croisée de Fillon
A27 ans seulement, Madeleine Bazin de Jessey figure déjà en bonne place dans l’équipe de campagne du vainqueur de la primaire. Portrait d’une militante catholique ambitieuse
Silhouette menue emmitouflée dans un gros pull, visage fin au teint diaphane encadré de cheveux châtains mi-longs, Madeleine Bazin de Jessey a l’air d’un petit oiseau tombé du nid. Ce vendredi 30 décembre, dans un café près de la porte de Saint-Cloud, elle s’exprime d’une voix douce et posée. Ne pas s’y tromper. Derrière une apparente fragilité et un air quasi naïf, cette jeune femme cache une détermination à toute épreuve. Etoile montante de la droite conservatrice, elle vient d’intégrer, à seulement 27 ans, l’équipe de campagne de François Fillon. En un temps record, elle est passée du militantisme dans la société civile à une place enviée dans un grand parti de gouvernement. On n’a sans doute pas fini d’entendre parler d’elle.
Inconnue il y a trois ans, cette catholique bien élevée a fait ses premières armes dans les mouvements de contestation contre la loi Taubira, comme les Veilleurs, avant de cofonder, au sein de l’UMP, le mouvement Sens commun. Ludovine de La Rochère, présidente de la Manif pour tous, dont Sens commun est issu, ne se fait pas prier pour encenser cette « jeune femme de convictions », pour qui elle a « beaucoup d’estime et d’admiration ».
Fille d’une prof d’histoire-géographie et d’un banquier, Madeleine Bazin de Jessey est la troisième d’une fratrie de cinq. Petite, sa grand-mère lui lit Victor Hugo et Alphonse Daudet. C’est ainsi que l’univers des grands écrivains lui est « devenu familier ». Elle peut aujourd’hui se targuer d’un brillant parcours scolaire, alors que les choses avaient plutôt mal commencé. En CP, à l’école publique, la petite Madeleine devient la « tête de Turc » de son institutrice. Cette dernière, raconte-t-elle, « a dit à [s]es parents qu’[elle] ne saurai[t] jamais lire ni écrire ». Inscrite dans une école Montessori, elle entre, en classe de CM2, dans la très stricte institution Saint-Pie-X, un établissement catholique de Saint-Cloud tenu par des religieuses. Aujourd’hui encore, elle va à la messe tous les dimanches. « La relation avec Dieu est forte et présente dans ma vie, dit-elle. C’est une boussole dans mon enga- gement politique. » Pour elle, « le retour du religieux correspond à un besoin de sécurité et de repères face à la mondialisation, à une transmission qui s’effriteet à une incertitude sur l’avenir ».
C’est dans son école de Saint-Cloud qu’elle croise la route d’une certaine… Marion Maréchal-Le Pen. Elle n’en a guère de souvenirs: « Elle était très discrète, presque timide. » Des années plus tard, elle la retrouvera pourtant à l’occasion d’un débat dans les colonnes du magazine « Famille chrétienne ». Certains de ses amis de Sens commun, tel Sébastien Pilard, à l’époque président du mouvement, lui ont alors reproché d’avoir laissé sous-entendre une « proximité idéologique » avec le parti frontiste à cause de la couverture de l’hebdomadaire qui les
montrait côte à côte. Madeleine de Jessey assume : « Je ne me suis pas engagée en politique pour être sectaire, mais pour pouvoir parler à tout le monde. » Pour autant, les origines de ce parti, dont elle n’aime pas « l’outrance et la rhétorique excessivement agressive », lui «posent un problème ». Elle insiste : « Ça reste le FN. »
Après une classe préparatoire à Louis-le-Grand, elle entre à l’Ecole normale supérieure, dont elle sort en juillet 2014, agrégée de lettres classiques. En même temps, Madeleine Bazin de Jessey approfondit sa connaissance de la Bible, via le programme Even qui dispense des cours de catéchisme à Saint-Germain-des-Prés « pour jeunes catholiques branchés », selon la formule d’un connaisseur du milieu. Elle profite aussi de son année de césure pour se rendre en Israël. Dans une crèche gérée par les Filles de la Charité à Jérusalem, elle s’occupe de bébés, en majorité éthiopiens et érythréens. Elle enseigne aujourd’hui à la Sorbonne sous son nom de femme mariée.
C’est lors de son stage de classe de seconde, en 2005, effectué à l’Assemblée nationale aux côtés d’une collaboratrice du député UMP de l’Essonne Georges Tron, qu’elle découvre pour la première fois le milieu politique. Elle récidivera l’année suivante au siège de l’UMP. Au moment de la première campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, elle est séduite par le discours du candidat et décide d’adhérer au parti. Madeleine de Jessey déchantera pourtant très vite, « profondément choquée » par le comportement « déplacé » du nouveau président à l’automne 2007. L’étalage de sa vie privée, les photos avec Carla Bruni à Disneyland, puis celles le montrant en Jordanie avec le fils de cette dernière sur les épaules… très peu pour elle. Elle rend alors sa carte.
Elle la reprendra six ans plus tard, lorsque Sens commun, dont elle est la porte-parole, devient un mouvement intégré au parti. Sa relation avec Nicolas Sarkozy, qui, revenu à la tête des Républicains, la propulse pourtant au poste de secrétaire nationale chargée des programmes de formation, ne s’arrange pas. « Il n’avait rien contre elle, mais il ne l’admirait pas. Elle ne l’a pas supporté », grince un soutien de l’ex-président. L’intéressée estime plutôt avoir payé le fait de ne pas avoir « [s]a langue dans sa poche ». En effet. Lorsque l’ancien président reniera son engagement d’abroger la loi Taubira, elle brocardera son « cynisme » et son « électoralisme » sur i-Télé…
Pas étonnant, dès lors, que cette militante aux convictions affirmées se soit tournée vers François Fillon, quand celui-ci a tendu la main à Sens commun, en insistant sur sa volonté de réécrire la partie de la loi Taubira portant sur la filiation. L’idée de ce mouvement proabrogation, qu’elle crée avec d’autres jeunes militants issus de la Manif pour tous, a émergé à l’été 2013, à l’initiative de François-Xavier Bellamy, agrégé de philosophie et adjoint au maire de Versailles. Un an auparavant, Madeleine de Jessey avait en effet renoué avec la politique sous l’effet de l’élection de François Hollande, ce « président de faits divers », selon la formule qu’elle emprunte aujourd’hui à François Fillon. L’été dernier, c’est notamment sous son impulsion que Sens commun, qui a éconduit au passage son président sarkozyste, a rallié l’ancien Premier ministre. Ce mouvement, qui revendique 10000 adhérents, apportera au candidat Fillon une force militante et un appui logistique précieux pour sa campagne de la primaire.
« Grosse bosseuse », Madeleine Bazin de Jessey est-elle une fausse naïve ou une véritable ambitieuse ? « Il faut reconnaître qu’elle réussit toujours à bien se placer », persifle un élu LR. Ces dernières semaines, on a murmuré qu’elle pourrait hériter de l’ex-circonscription sarthoise de François Fillon, devenue celle de Stéphane Le Foll. Ou même de celle que détient désormais Fillon à Paris… Et que lorgne Rachida Dati, maire du 7e arrondissement. Il n’en est rien. L’égérie de Sens commun s’imagine, elle, conseillère technique au ministère de l’Education. Pour commencer.