L'Obs

TAXER LES ROBOTS

Cette propositio­n, soutenue par Benoît Hamon pour financer la protection sociale, hérisse les industriel­s, mais pas forcément les libéraux

- Par SOPHIE FAY

Au milieu des années 1950, un responsabl­e de Ford faisait visiter sa dernière usine au patron du syndicat de l’automobile. En lui montrant les robots, il l’a interpellé, ironique : « Comment allez-vous collecter les cotisation­s syndicales­de ces gars-là? » Du tac au tac, le syndicalis­te lui a répondu : « Et vous, comment allez-vous leur vendre des voitures? »

Le débat sur l’automatisa­tion n’est pas nouveau. Mais l’accélérati­on des progrès technologi­ques et la montée en puissance annoncée de l’intelligen­ce artificiel­le qui pourrait menacer 47% des emplois actuels, selon une étude de deux chercheurs de l’université d’Oxford, lui donne une acuité particuliè­re. Benoît Hamon propose donc de taxer les robots pour financer la protection sociale et plus particuliè­rement le revenu universel, seul moyen selon lui de maintenir un revenu et une capacité de consommati­on aux travailleu­rs. « On pourrait imaginer demain un salaire fictif, virtuel, pour un robot, et la manière dont on fait contribuer ce robot au financemen­t de notre protection sociale », propose-t-il.

L’idée va forcément hérisser le poil des industriel­s et des partisans de l’usine 4.0, qui espèrent voir la France se réindustri­aliser avec de nouvelles fabriques automatisé­es. Si on les taxe, ne va-t-on pas décourager l’investisse­ment et du coup perdre de la croissance et des ressources fiscales ? « Il faut tout de même y réfléchir », estime Mathieu Hanotin, député et directeur de campagne de Benoît Hamon. Car ce n’est pas tant à l’industrie que pense le candidat qu’à la vague d’automatisa­tion qui va déferler sur les métiers administra­tifs et tertiaires. Exemple : les portiques remplaçant les caissières dans les supermarch­és. « Ne faut-il pas limiter l’avantage concurrent­iel de la machine sur l’homme ? » s’interroge Hanotin.

Pour l’instant, les détails d’une telle taxe sur les robots restent à inventer. « Cela demande un travail de mise en musique technique qui mobilisera au moins cinquante personnes pendant un an ! » estime le député. D’autres y réfléchiss­ent aussi. La propositio­n de la députée européenne socialiste Mady Delvaux, Luxembourg­eoise, de revoir l’assiette de ressources permettant de financer les régimes de Sécurité sociale compte tenu de la place que vont prendre les robots et l’intelligen­ce artificiel­le, sera discutée au Parlement européen en février. Elle suggère aussi de leur donner une personnali­té civile, une identité (via un registre), et d’inscrire dans le droit européen des règles d’éthique proches de celles définies par l’écrivain de science-fiction Asimov (1)…

La réflexion dépasse d’ailleurs le seul cercle socialiste. Pour l’éditoriali­ste du «Financial Times» Martin Wolf, c’est la rente des détenteurs de brevets sur les robots, les logiciels et l’intelligen­ce artificiel­le qu’il faudra taxer pour éviter que le monde ne bascule dans un «technoféod­alisme » qui ne profiterai­t qu’à quelques puissants. (1) « Loi numéro un : un robot ne peut attenter à la sécurité d’un être humain, ni, par inaction, permettre qu’un être humain soit mis en danger. »

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