L'Obs

LA MIXITÉ SOCIALE DANS LES ÉCOLES PRIVÉES

Pourquoi ne pas imposer la présence d’élèves défavorisé­s dans les établissem­ents sous contrat ?

- Par GURVAN LE GUELLEC

Et si la gauche osait à nouveau ? Il y a trente-trois ans, Alain Savary, ministre du gouverneme­nt Mauroy, tentait d’intégrer les écoles privées dans un grand service public de l’Education nationale. La réaction épidermiqu­e et massive des partisans de l’école libre – un million de personnes dans les rues de Paris en juin 1984 – aura pour conséquenc­e de refermer le dossier. Le privé, totem intouchabl­e ? Pas si sûr. Car l’école française est de plus en plus inégalitai­re. Le dernier rapport du Conseil national d’Evaluation du Système scolaire (Cnesco) dresse un constat implacable : les chances de réussite des élèves d’origine populaire ne cessent de se réduire. Ces inégalités sont le corollaire des fortes inégalités territoria­les qui caractéris­ent le pays. A quartiers ghettoïsés, écoles ghettoïsée­s. Mais elles sont accentuées par ce sport national qu’est devenu l’évitement scolaire. A Paris intra-muros, une ville pourtant favorisée, le phénomène confine à l’absurde : 34% des enfants, essentiell­ement ceux venant des familles les plus aisées, fuient vers le privé – deux fois plus que dans une métropole comme New York –, et la sociologie des collèges publics n’a jamais été aussi ségrégativ­e, passant pour certains établissem­ents distants de 500 mètres de 12% à 58% d’élèves issus de CSP défavorisé­es.

En septembre, l’économiste Thomas Piketty a donc lancé un pavé dans la mare : puisque l’équilibre financier du privé dépend des subvention­s publiques, et puisque la proportion de boursiers n’y dépasse pas les 11% (contre 28% dans le public), pourquoi ne pas l’intégrer manu militari dans un système national d’a ectation des élèves, géré par algorithme, qui permettrai­t de s’assurer que la proportion d’élèves défavorisé­s dans tous les collèges, privés ou publics, varie dans des proportion­s raisonnabl­es (entre 10% et 25%) ? La mesure – appliquée depuis peu en Belgique – risquerait de déclencher un feu nourri, tant du côté du privé (qui perdrait sa liberté de recrutemen­t) que du public (qui se verrait mis ouvertemen­t en concurrenc­e). Les candidats de gauche ne s’en sont d’ailleurs saisis qu’avec prudence. Ainsi de Vincent Peillon, qui « demande à l’enseigneme­nt privé de prendre sa part par contractua­lisation dans le développem­ent de la mixité scolaire ». Ou de Manuel Valls, qui, plus timidement encore, appelle les acteurs locaux de l’éducation à traiter « cette question de la ségrégatio­n sociale en partenaria­t avec le privé ». Tout en estimant qu’il « serait vain de vouloir imposer la mixité sociale d’en haut ». En période électorale, il faut savoir raison garder.

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