LE BLUES DES “MARCHEUSES” DE BELLEVILLE
« On est passées de dix à trois clients par jour. Il y a des journées où on n'en a pas un seul ! Alors on est obligées d’accepter les “mauvais” clients. » Ton direct, zéro misérabilisme, Liu (*), quadragénaire aux sourcils arqués, est venue s’équiper en préservatifs et boire un thé au jasmin à la permanence du Lotus Bus, un programme de Médecins du Monde destiné aux prostituées chinoises de Paris. Comme elle, la plupart des « marcheuses » qui arpentent les trottoirs de Belleville en doudoune et cuissardes disent payer le prix fort depuis la loi sur la pénalisation des clients. Leurs habitués ont déserté. Alors elles ont cassé leurs tarifs, jusqu’à 10 euros la passe. Accepté ceux qu’elles auraient d’ordinaire fuis, y compris les clients les plus violents. Parfois dit oui à un rapport sans préservatif. Elles passent plus par internet aussi. Or les proxénètes qui se trouvent derrière ces plateformes envoient le premier venu directement à domicile, sans vérifications. Le 29 novembre, Feng (*) a ainsi été violée chez elle, passée à tabac et laissée pour morte. « Cette loi a rendu leur travail plus difficile et plus dangereux, déplore Tim Leicester, coordinateur du projet. Nous sommes confrontés à une augmentation du nombre et de la gravité des violences. Les travailleuses du sexe sont obligées de travailler la nuit, dans des endroits plus reculés… » En 2016, Tous en Marche, le programme de lutte contre les violences faites aux prostituées, dont fait partie le Lotus Bus, a accompagné 199 victimes. La partie émergée de l’iceberg, la plupart préférant se taire. L’infraction est censée avoir changé de camp. Dans les faits, disent les bénévoles du Lotus Bus, la répression policière à l’encontre des marcheuses aurait redoublé, au motif de contrôles d’identité.