L'Obs

Bordeaux supérieur

- JÉRÔME GARCIN

En vingt ans, à peine une demi-douzaine de livres brefs publiés chez de petits éditeurs, dont une ode à la chanson française et un recueil de fragments malgaches, tous composés dans une prose raffinée, désabusée, et arrachés à on ne sait quel devoir de réserve, quelle propension à la procrastin­ation, quel obstiné refus de « faire l’intéressan­t ». C’est peu dire que Jean-Marie Planes (photo), ce grand de Bordeaux aux curiosités dispersées, est un écrivain rare. Même s’il a de bonnes excuses – agrégé de lettres modernes, il a longtemps enseigné, donne beaucoup de conférence­s et signe des chroniques littéraire­s dans « Sud-Ouest dimanche » –, l’auteur d’« Une ville bâtie en l’air » nous a manqué autant que, dans ses textes en pointillé, il nous a charmés. Voici enfin le livre qu’on attendait de lui et qu’on doit, paradoxale­ment, à un huissier de justice. Me Fauvette lui ayant en effet signifié son congé de l’appartemen­t de la rue d’Aviau, à Bordeaux, qu’il habitait depuis trente ans, Jean-Marie Planes, une fois la colère passée, s’empressa de répertorie­r, comme s’il craignait leur disparitio­n avec le déménageme­nt annoncé, tous les lieux girondins où, depuis son enfance, il a vécu. Entre relevé topographi­que, cadastre affectif et carte de Tendre, son carnet d’adresses est rempli de souvenirs et d’émotions intacts. Il y a la belle propriété de ses grands-parents, le château Constant-Trois-Moulins, à Macau, en Médoc. La maison basque d’Atherbia, siège de son « inquiète et solaire adolescenc­e ». L’immeuble de la rue Duffour-Dubergier, où, bien avant lui, François Mauriac passa son enfance. Enfin, le rez-de-chaussée du 56 rue d’Aviau, d’où il est donc chassé, avec son jardinet jouxtant le grand jardin public, son « extravagan­t désordre », son « laisser-aller confus et poudreux », ses piles de livres, dont il décide de se débarrasse­r. Soudain libéré de tout ce qui l’encombrait, l’asphyxiait, le délabrait, Jean-Marie Planes ne cache plus rien. Ni l’enfant-mort, son frère aîné, dont il a pris

LE CHEMIN DE MACAU, PAR JEAN-MARIE PLANES, ARLÉA, 160 P., 17 EUROS.

la place, ni ses années de psychanaly­se, ni ses folles nuits d’autrefois où « l’ange fit la bête », ni la figure totémique du père, Georges Planes, essayiste, universita­ire, ami des plus grands écrivains de son temps, fondateur des « Jeudis littéraire­s » et membre de l’Académie de Bordeaux, où son fils allait lui succéder – « Qu’ai-je fait d’autre, petit chien de Macau, que mettre mes pas maladroits dans les siens ? ». Une humilité, même pas feinte, qui ajoute à l’élégante mélancolie de ce bouleversa­nt récit et rappelle le « Mettons que je n’aie rien dit » d’un autre prince de la litote dont il croisa la trace à Madagascar, Jean Paulhan.

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