Le bonheur paisible de M. Moi
MON FRIC, DE DAVID LESCOT. JUSQU’AU 13 JANVIER À LA COMÉDIE DE SAINT-ÉTIENNE. DU 2 AU 4 MARS À LA CRIÉE DE MARSEILLE. DU 22 AU 24 MARS AU THÉÂTRE DE SARTROUVILLE. DU 28 MARS AU 1ER AVRIL À LA COMÉDIE DE BÉTHUNE.
Pas d’odeur, l’argent ? Certains certifient qu’il pue, au contraire. Qu’il ne fait pas le bonheur. Qu’il est inconvenant d’en parler, surtout devant les enfants. Qu’on doit garder son salaire secret, surtout s’il est confortable. D’autres n’ont pas ces pudeurs et font étalage de leurs richesses comme un chasseur fier de revenir au foyer avec sa carnassière garnie à ras bord, preuve de son savoir-faire. On ne peut pas dire que Moi, le héros de « Mon fric », soit un money maker. Il n’a pas trouvé dans son berceau le don de faire de l’argent. Avec un père aide-comptable et une mère qui tient une boutique de bibelots indiens, ce qui n’attire pas les foules à Etampes (Essonne), ceux-ci s’étant de surcroît séparés, Moi court de l’un à l’autre pour mendier sa vie. Bientôt il vit à la colle avec une Géraldine enceinte rapido-presto et se retrouve examinateur dans une boîte à bac sans avoir achevé ses études de lettres, donc sous-payé à perpétuité. Il lui manquera toujours vingt sous pour faire un franc. Et voilà Géraldine qui se taille avec l’enfant et réclame une pension alimentaire! Moi prend alors son parti de mener une existence modeste, sans se révolter contre sa condition, celle des gens normaux, qui n’interdit pas de goûter un bonheur paisible. En dépit de son nom, Moi n’est pas une simple projection de l’auteur mais plutôt ce qu’il serait devenu si… Si son père, Jean Lescot, avait été aide-comptable plutôt qu’un délicieux comédien, disparu il y aura bientôt deux ans. Et si l’ange du théâtre ne l’avait pris à son tour sous son aile. Ce que l’écriture de David Lescot a d’unique, c’est sa légèreté. Son élégance discrète. Sa tendresse. L’humour qui sourd subrepticement de ces brefs tableaux où les passages narratifs se mêlent aux dialogues. C’est un dessinateur plus qu’un peintre. Et le grand mérite de la mise en scène de Cécile Backès est d’épouser ce style cursif. Le spectacle se suit comme on feuillette un carnet d’esquisses. Sans jamais rien d’appuyé ou de démonstratif. Sans donner de leçon à quiconque. Sans employer de grands mots. Sans élever la voix. On ne l’entend que mieux.