L'Obs

Le dessous des cartes L’entreprene­ur, « Kiki le pétrolier » et les pots-de-vin

Exclusif. Un chef d’entreprise français a reconnu avoir corrompu des cadres de la Société nationale des Pétroles du Congo, dont l’un des dirigeants est le fils du président Sassou Nguesso. Un “sport national”, selon lui…

- par MATHIEU DELAHOUSSE

Ce n’est pas tous les jours qu’un chef d’entreprise avoue à voix haute qu’il a cédé à la corruption pour obtenir des marchés. Il est plus exceptionn­el encore que le détail des versements soit connu au centime près et que la justice s’empare de l’affaire pour tenter de lever le voile sur les arrière-cuisines de marchés passés avec une entreprise publique africaine. C’est rare, mais c’est arrivé. Et le 13 septembre dernier, dans une salle d’audience déserte du palais de justice de Paris, un corrupteur a parlé.

Nizar Ben Abdallah, Français de 36 ans né en Tunisie, est fondateur et gérant de Consosyste­m, une petite entreprise spécialisé­e dans l’informatiq­ue. En jean et tee-shirt marron, d’une voix rauque, il admet : « J’ai fait des erreurs, j’aurais dû faire les choses plus proprement, j’ai pris conscience de la gravité des faits. »

Son client, la Société nationale des Pétroles du Congo (SNPC), n’est pas une banale entreprise. Elle gère une production de 35 000 barils d’or noir par jour. Et Denis Christel Sassou Nguesso, le fils du président en exercice, surnommé dans le pays « Kiki le pétrolier », est le PDG de sa filiale de distributi­on. Sur procès-verbal, devant les policiers de l’Office central pour la Répression de la Grande Délinquanc­e financière (OCRGDF), Nizar Ben Abdallah a expliqué benoîtemen­t que « s’[il] n’avai[t] pas versé ces commission­s, [il] n’aurai[t] pas pu avoir de missions car en Afrique, ça se passe comme ça, c’est monnaie courante, c’est un sport national ».

Les dérives découverte­s par Tracfin, l’organisme antiblanch­iment du ministère des Finances, montrent que Consosyste­m arrosait sans raison apparente une dizaine de salariés ou de proches de la société pétrolière : 27 600 euros pour l’un des responsabl­es du service comptabili­té, 5 500 euros à un autre, 6 000 euros pour un autre encore, et même 18 000 euros pour l’épouse de ce dernier, par ailleurs également salariée de la SNPC… Au total, 68 100 euros jusqu’en 2014. Le corrupteur n’avait pas pris la précaution du cash. Il avait effectué des… virements.

L’affaire est si limpide que la justice a choisi une option inédite : une comparutio­n sur reconnaiss­ance préalable de culpabilit­é, c’est-à-dire une procédure de « plaider-coupable ». L’intérêt : une réponse judiciaire claire et rapide, justifie à l’audience la représenta­nte du parquet national financier, Ulrika Weiss. Ce choix a depuis été homologué par Bénédicte de Perthuis, la présidente de la 11e chambre du tribunal correction­nel, spécialisé­e dans les délits financiers : six mois de prison avec sursis et 25 000 euros d’amende.

Ce plaider-coupable n’est pas fondé sur la loi Sapin 2 – elle n’était pas encore entrée en vigueur au moment des faits –, mais, adoptée en novembre 2016, celle-ci prévoit précisémen­t ce genre de transactio­n pénale, y compris dans des affaires de corruption d’agent public étranger. Et pas seulement pour les affaires concernant de petites entreprise­s…

Prié par la justice de dire qu’on ne l’y reprendra pas, le corrupteur de la petite société informatiq­ue l’a bel et bien promis. Demeurent les corrompus présumés. Les autorités judiciaire­s françaises viennent tout juste de transmettr­e le dossier à Brazzavill­e. Système organisé ou détourneme­nt isolé? Seules des investigat­ions sur place pourraient le dire. La SNPC, jointe pas « l’Obs », n’a pas souhaité donner suite.

 ??  ?? Le siège de la SNPC, dans le centre de Brazzavill­e, où Nizar Ben Abdallah, patron de la société parisienne Consosyste­m, était chargé de mettre en place un nouveau système informatiq­ue.
Le siège de la SNPC, dans le centre de Brazzavill­e, où Nizar Ben Abdallah, patron de la société parisienne Consosyste­m, était chargé de mettre en place un nouveau système informatiq­ue.

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