Innovation Roxanne Varza, la femme aux mille start-up
L’ambitieux projet de campus numérique Station F (ex-halle Freyssinet) est dirigé par Roxanne Varza, une figure emblématique de la tech au féminin. Portrait
Le 5 décembre, Roxanne Varza a commencé son opération de recrutement. Pas question de diffuser une petite annonce dans un journal, de donner une interview à une grande radio ou d’apparaître sur BFM Business. Elle a directement publié son appel sur Medium.com, un média en ligne où chacun s’autoédite. Puis elle a posté l’article sur sa page Facebook et a laissé sa « communauté » faire le reste. Quelques journalistes pointus – de l’agence d’information économique Bloomberg ou de TechCrunch, un webzine où elle a travaillé – ont relayé la nouvelle. Objectif : inviter les entrepreneurs à déposer leur candidature pour rejoindre la Station F, un campus géant qui, à partir d’avril 2017, accueillera 1 000 jeunes pousses de la tech dans l’ancienne halle Freyssinet de la gare d’Austerlitz, dans le 13e arrondissement de Paris.
Ce projet, lancé par Xavier Niel (fondateur de Free et coactionnaire de « l’Obs ») avec la ville de Paris et la Caisse des Dépôts, veut faire de Paris la capitale mondiale des startup. C’est Roxanne Varza, 31 ans, qui le pilote, en quasi totale autonomie, avec une énergie incroyable. Le lendemain de son message,
la « fée des start-up » avait déjà reçu 600 dossiers. L’appel à candidatures sera clos le 5 février.
Mardi 17 janvier, Station F a franchi une nouvelle étape. La directrice des opérations de Facebook dans le monde, Sheryl Sandberg, a annoncé « un investissement de plusieurs millions d’euros au cours des prochaines années », sous le regard ravi de Xavier Niel et d’Anne Hidalgo. L’incontournable réseau social y lancera son propre Startup Garage : un programme de six mois pour aider dix à quinze start-up spécialisées dans « l’économie de la donnée », dont Chekk, Mapstr, The Fabulous, Onecub et Karos.
Une consécration pour la jeune directrice de la halle Freyssinet réinventée? Roxanne Varza préfère la jouer modeste. Et rappeler qu’elle ne sélectionnera pas seule la totalité des entrepreneurs résidents : « Mon équipe est responsable du Founder’s Program de Xavier Niel, ouvert à une centaine de start-up au stade de l’amorçage. » La Station F compte neuf autres partenaires – dont Facebook, Vente privée et l’école HEC – qui développeront chacun leur propre filière d’appui/incubation/accélération.
Car la Station F n’est pas seulement un incubateur, précise Roxanne Varza : « C’est un espace de travail, avec bureaux et “fablab”, mais aussi un espace de vie avec une zone événementielle, des restaurants ouverts au public 24h/24, et des logements pour 600 entrepreneurs à Ivry. » Le projet architectural, signé Jean-Michel Wilmotte (34000 mètres carrés, faisant intervenir simultanément 36 corps de métier), n’allait pas de soi. « Le plus dur pour moi, ça a été la partie travaux : je ne connaissais rien au BTP! » reconnaît la jeune femme qui s’est habituée au casque de chantier, coachée par Redman, la société maître d’ouvrage délégué.
En revanche, l’idée d’implanter une micro-Silicon Valley en plein Paris, avec son écosystème international d’entrepreneurs, d’investisseurs et d’universités, ne lui a jamais fait peur. Elle s’est entourée d’une quinzaine de personnes, encore plus jeunes qu’elle ! « La French Tech [Le label officiel des entreprises tricolores innovantes, NDLR] a vraiment contribué à mettre la France sur la carte mondiale de l’innovation. La Station F a vocation à poursuivre sur cette lancée », explique Roxanne Varza. L’ancienne ministre du Numérique Fleur Pellerin, initiatrice de la French Tech, elle, salue l’expérience dans la Silicon Valley ainsi que la double (voire triple) culture de la nouvelle star de la tech.
La directrice de la Station F est née à Palo Alto (Californie) de parents iraniens francophones partis au moment de la révolution de 1979. Elle a fait des études de français à l’université de Californie à Los Angeles. Un an d’échange à Bordeaux confirme son désir de France. Elle est d’ailleurs en passe d’acquérir la nationalité française. Quant au virus numérique, elle l’a contracté sur le tas, dès son premier travail : entre 2007 et 2009, elle est chargée par l’agence Business France de San Francisco de convaincre les entreprises de la Silicon Valley de venir investir dans l’Hexagone.
Un double cursus Sciences-Po/London School of Economics en affaires internationales lui a ensuite donné l’occasion de travailler pour diverses start-up britanniques. Mais les deux jobs qui lui ont permis de parfaire son réseau international et ses compétences professionnelles sont la direction de la version française de TechCrunch (2010) puis les trois années passées à développer l’incubateur de Microsoft France (2012-2015).
Sa relation avec Xavier Niel date de cette époque : « Je l’ai rencontré à une conférence de Microsoft, et j’ai été étonnée d’apprendre qu’il avait lu mes articles sur TechCrunch. Plus tard, il m’a consultée sur le projet de la halle Freyssinet… Puis, en octobre 2015, m’en a proposé la direction. » Roxanne a tout de suite accepté, « parce que Xavier n’hésite pas à casser les codes et monter de nouveaux projets ambitieux ». Et aussi parce qu’elle n’a pas peur de l’échec : « C’est elle qui a importé en France les “failcons”, ces conférences pour se désinhiber face à l’échec. C’est un des combats culturels que je partageais avec elle quand j’étais ministre », raconte Fleur Pellerin.
Cofondatrice de la déclinaison française de l’association Girls in Tech, récemment rebaptisée StartHer, la patronne de la Station F est aussi une féministe assumée. Un héritage de sa grand-mère iranienne : « C’est une des premières femmes à être devenues avocates en Iran. Elle a ensuite eu une carrière de poétesse. C’est quelqu’un qui a toujours suivi ses passions et qui n’a peur de rien… »
Pour Eliane Fiolet, cofondatrice et éditrice à San Francisco du site Ubergizmo.com, « Roxanne est depuis de nombreuses années une excellente promotrice des femmes dans la technologie, et des technologies émergentes made in France ». Un combat contre les préjugés sexistes des milieux économiques qu’elle partage avec Sheryl Sandberg, la numéro deux de Facebook, qui, lors de son passage à Paris, mardi, n’a pas manqué de recevoir les start-uppeuses françaises les plus en vue, lors d’un événement organisé par l’incubateur The Family.
“LA FRENCH TECH A CONTRIBUÉ À METTRE LA FRANCE SUR LA CARTE MONDIALE DE L’INNOVATION.”