L'Obs

Passé/présent Quatre siècles d’embouteill­ages à Paris

Les “embarras de Paris” sont aussi anciens que la capitale. De tout temps, la question de la circulatio­n a été politique. D’Henri IV à Anne Hidalgo

- Par FRANÇOIS REYNAERT

Qu’on soit pour ou contre la politique de Mme Hidalgo en faveur d’une piétonisat­ion de Paris, le fait est là. Depuis la fermeture aux automobile­s d’une partie de la voie sur berge dite « voie Georges-Pompidou » et l’engorgemen­t qu’elle a créé mécaniquem­ent dans les rues à l’entour, le coeur de Paris, aux heures de pointe, ressemble aux bronches d’un catarrheux : il est très encombré. Le problème n’est pas neuf. Mais, puisqu’il est d’actualité, il n’est pas inutile de lui redonner une profondeur de champ historique. Depuis com- bien de temps y a-t-il donc des embouteill­ages à Paris ?

Serions-nous d’humeur farce, nous répondrion­s sans mollir : depuis l’assassinat d’Henri IV. N’a-t-on pas appris à l’école que l’infâme Ravaillac, le 14 mai 1610, n’avait réussi à sauter sur le monarque que parce que la voiture royale était bloquée, rue de la Ferronneri­e, par un encombreme­nt de charrettes ? A dire vrai, dans cette cité aux rues étroites, on a toujours mal circulé. Mais, comme nous l’explique l’excellent « Dictionnai­re historique de Paris » (Le Livre de Poche, 2013), le xviie siècle fait apparaître de nouveaux problèmes de trafic. Essentiell­ement piétonne jusque-là, la ville commence en effet à être parcourue de carrosses de plus en plus nombreux qui en changent la physionomi­e et tapent sur les nerfs des habitants. Les « embarras de Paris » deviennent un tel thème que Boileau y consacre une satire : « Vingt carrosses bientôt arrivant à la file/ Y sont en moins de rien suivis de plus de mille… ».

C’est aussi durant le Grand Siècle qu’un des plus beaux esprits du temps marque un grand coup dans le domaine des transports. Non content d’avoir révolution­né les mathématiq­ues et offert à la littératur­e française des pages admirables, un certain Blaise Pascal – avec quelques amis et associés – a une idée lumineuse que personne n’a jamais eue avant eux : faire circuler des voitures qui suivraient un itinéraire identique et, pleines ou vides, partiraien­t de leur point de départ à heures fixes. Avec ces « carrosses à 5 sols », l’ingénieux janséniste vient d’inventer les transports

en commun. Seulement, après quelques années, l’affaire périclite. L’imbécile parlement de Paris, pour préserver les « commodités des gens de mérite », avait cru bon d’interdire les voitures à tous les ouvriers, valets et gens du peuple, c’est-à-dire à tous ceux qui auraient pu en avoir besoin.

Au xixe siècle, le temps du Vieux Paris et de ses ruelles torves a passé. On veut de la voie large, claire, saine et surtout commode pour déplacer la troupe en cas de besoin. Si Bonaparte fait percer la rue de Rivoli, c’est, au sortir de la Révolution, pour pouvoir contrôler l’axe qui relie son palais des Tuileries à la Concorde. Haussmann, un demi-siècle plus tard, suit le mouvement et l’amplifie. Il est le perceur en chef, l’homme qui taille dans Paris ces grands boulevards qui doivent faire circuler l’« air et les hommes ». L’industrial­isation, la densificat­ion du trafic rend le rêve un peu vain. A la fin du xixe siècle, écrit Jean Favier dans son « Paris. Deux mille ans d’histoire » (Fayard), il arrive que, aux grands carrefours, les véhicules fassent du surplace pendant des heures entières. L’arrivée de l’automobile au début du xxe siècle n’arrange évidemment rien. Il faut réguler ce grand bazar. Le préfet Lépine n’hésite pas à prendre d’énergiques mesures qui, au départ, suscitent incompréhe­nsion et étonnement, comme le fait de laisser la priorité à droite (1910) ou encore l’instaurati­on d’une première rue à sens unique (1907), une curiosité si amusante qu’elle devient un lieu de visite.

Depuis le milieu du xixe siècle, le rêve pascalien est enfin réalité. Paris est sillonné de voitures communes, les « omnibus », lancés peu de temps auparavant à Nantes, ou encore de tramways tirés par des chevaux. Pour tenter le chemin de fer urbain, ou plutôt suburbain, il faudra attendre l’électricit­é. Lancer des trains à vapeur sous terre aurait été compliqué. Le premier métro – Porte-de-Vincennes-Porte-Maillot – est ainsi inauguré avec l’Exposition universell­e de 1900.

A la surface, l’automobile se fait toujours plus envahissan­te, sauf pendant l’Occupation quand, faute de carburant, elle cède la place aux piétons. Ce n’est pas plus silencieux pour autant : on marche beaucoup, et en faisant claquer des semelles en bois, car il n’y a plus de cuir non plus.

Avec les Trente Glorieuses arrive enfin le règne sans partage de la bagnole, déesse absolue de l’époque. Tout doit se plier à son adoration. Il faut, comme dit le président Pompidou, « adapter Paris aux nécessités de l’automobile » ; en clair, on en est à envisager de tailler des autoroutes jusqu’à la Concorde et de relier les gares par des rocades à quatre voies. Fort heureuseme­nt, la crise de 1973 sonne le glas de ces utopies bitumeuses. On n’a plus de pétrole, mais on commence à avoir des idées écolo. Désormais, le mouvement se relance dans l’autre sens. Arrivé à l’Hôtel de Ville en 2001, Delanoë décide que le règne du « tout-voiture » est terminé. On se souvient enfin que, pour circuler, la bicyclette existe aussi, et même la marche. Vu d’où on vient, ça tient de la révolution.

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