L'Obs

Présidenti­elle La drôle de campagne de Manuel Valls

Dans la bataille pour la présidenti­elle, l’ex-Premier ministre candidat a commencé par désoriente­r ses troupes en disant qu’il avait changé. Avant de se raviser et de revenir à ses fondamenta­ux. Suffisant pour l’emporter?

-

C’est un homme en colère qui parle. Très en colère. « On n’est pas aidé, c’est sûr. En allant au théâtre, le chef de l’Etat lui-même montre que la primaire ne l’intéresse pas. Quand on voit aussi Ayrault donner un bon point à Macron… Sans compter les clins d’oeil de Royal à l’égard du même… Ras le bol ! » Cet homme, c’est Luc Carvounas, un proche de Manuel Valls, qui ne digère pas d’avoir vu dimanche dernier le président de la République préférer le spectacle de Michel Drucker à celui du deuxième débat de la primaire de la gauche. Et les justificat­ions de Hollande – « Je l’avais promis à Michel Drucker et je tiens mes promesses » – ne suffisent pas à le calmer : « J’en ai marre aussi de voir que le secrétaire général de l’Elysée aide à lever des fonds pour celui qui veut tuer notre parti. Hollande avait dit au Bourget que la finance n’avait pas de visage, mais si, elle en a un, c’est celui de Macron. » Le sénateur du Val-de-Marne n’est d’ailleurs pas le seul à s’énerver. « C’est le bordel ambiant. Hollande a l’air content qu’aucun successeur n’émerge », persifle un autre soutien de Valls.

Quand une campagne ne se passe pas comme prévu, que votre champion patine, la tentation est grande de renvoyer la faute sur le dos des autres. Les coupables sont tout trouvés : François Hollande, Ségolène Royal… Le président, c’est vrai, n’a pas eu un mot public de soutien pour son ex-Premier ministre depuis que ce dernier est entré en campagne. Et, non content d’avoir été au spectacle pendant le deuxième débat, il sera au Chili le jour du premier tour de l’élection.

Pourtant, Manuel Valls, lui, ne tient pas le même langage que ses amis. Il préfère souligner que Hollande avait regardé le premier débat et apprécié que son ancien Premier ministre soit le seul à défendre son bilan. Il préfère insister sur l’engagement de Bernard Cazeneuve, de Jean-Yves Le Drian et Najat Vallaud-Belkacem. Il assure même qu’il comprend l’attitude de François Hollande, qui, confie-t-il à « l’Obs », n’est « pas un problème ». « On ne peut pas lui demander de ne pas être candidat et d’être acteur de la primaire », balaie-t-il.

Manuel Valls sait surtout que François Hollande n’avait pas tort quand, pendant sa campagne présidenti­elle de 2007, il répétait à loisir : « Pour un candidat sortant, son bilan, c’est son boulet. » Comment mieux résumer aujourd’hui les difficulté­s de Manuel Valls, accentuées par ses changement­s de pied à répétition? A la surprise générale, le candidat brûle ce qu’avait adoré le Premier ministre, notamment le fameux article 49.3, arme législativ­e qu’il a dégainée à six reprises. Entré en campagne, Valls explique que s’il était président de la République, il supprimera­it cet article de la Constituti­on, sauf pour les textes budgétaire­s. Même revirement sur sa vision de l’état de la gauche. Il n’y a pas si longtemps, face aux frondeurs de sa majorité, le Premier ministre Valls affirmait qu’il y avait « deux gauches irréconcil­iables ». Aujourd’hui, le candidat Valls n’a aucun doute sur sa capacité à les rassembler. Drôle d’entrée en campagne.

En prenant ces contre-pieds, Manuel Valls poursuivai­t en fait un double objectif stratégiqu­e : évacuer les sujets qui fâchent avant les débats télévisés et montrer quel président il aspire à être, un « président qui ne décide pas de tout, mais qui préside, qui donne le cap », selon la formule de Le Guen. Mais le faire quelques jours après avoir quitté Matignon, sans explicatio­n, « d’une façon trop rapide et anecdotiqu­e », comme le résume un élu vallsiste, fut une erreur. « On lui avait dit de purger, mais il en a trop fait », décrit un député proche. « On a merdé », reconnaît crûment un ami de Valls. A certains qui lui disaient que, dans l’opinion, son revirement sur le 49.3 avait du mal à passer, Manuel Valls a reconnu : « Oui, c’est une connerie. » « Connerie » que n’a pas laissée passer Vincent Peillon pendant le deuxième débat télévisé : « La vie, ce n’est pas une ardoise magique. »

Il était donc temps pour Manuel Valls de passer à une autre phase de sa campagne, de faire oublier ces débuts chaotiques, cette étrange impression que le candidat reniait le chef du gouverneme­nt qu’il fut. « Manuel doit refaire du Valls », confiait un proche au début de l’année. Un autre explique : « A partir du moment où il a fait ce choix risquéde se dire “j’y vais à grands coups de massue au début, je dynamite les trucs qui m’empoisonne­nt au départ, comme ça ils ne pourront pas exploser dans les débats télé”, il peut maintenant dérouler son projet, montrer qu’il est candidat, et, paradoxale­ment, il peut mieux assumer le bilan. » Les premiers débats ont rassuré le camp Valls. « Il est assez détendu, et encore plus depuis le premier débat. Il a enfin un espace pour exprimer ses idées, et puis on peut faire la comparaiso­n avec les autres candidats… », raconte un député vallsiste.

Aujourd’hui, Manuel Valls répète que « rien n’est écrit ». Il croit à sa victoire. Il assure même prendre « du plaisir » dans cette campagne qui permet selon lui une vraie confrontat­ion d’idées. «A travers le revenu universel d’Hamon et le revenu décent que je défends, il y a un vrai débat sur le travail. Je veux porter cette différence pour la suite, une différence de philosophi­e et de crédibilit­é. La question essentiell­e, c’est : “Veut-on une gauche qui gouverne ou veut-on retourner dans l’opposition avec nos mirages – revenu universel à 350 milliards d’euros, ouverture des frontières, cannabis, fin de l’état d’urgence?” » Et, pour que cela soit bien clair, le candidat poursuit : « Je trace ma route. Je regarde vers l’avenir. » Un avenir qu’il entend bien écrire à sa façon. « Je suis redevenu moi-même », a-t-il glissé à Claude Bartolone en sortant de l’enregistre­ment de l’émission « On n’est pas couché », la veille du premier débat de la primaire. Quelques jours plus tard, en meeting près de Toulouse, l’ancien Premier ministre lancera à la tribune : « Oui, je fais du Valls. » Et, signe qu’il sait aussi y faire avec ses opposants habituels, il s’est fait applaudir par les jeunes du MJS en leur parlant émancipati­on, confiance dans la jeunesse, revenu décent, éducation ou culture.

« Plus ça va, plus il se présidenti­alise. On voit bien quelle cible il vise : si c’est une primaire à petite participat­ion, il n’a aucune chance. Le gauchisme ambiant le fera perdre. Mais s’il y a une plus forte participat­ion, il fait président, donc il peut gagner », explique un de ses proches. Luc Carvounasp­révient : « S’il perd, alors cela voudra dire que le peuple de gauche aura définitive­ment fait une croix sur la présidenti­elle et aura répondu à une autre question : pour ou contre la politique menée durant ce quinquenna­t ? Cela se jouera dans un mouchoir de poche, ce ne sera pas une victoire aussi large que celle de Fillon, mais je pense qu’il va gagner. » Pour Jean-Marie Le Guen, « l’enjeu de cette primaire, c’est l’alliance entre la gauche et le centre gauche ». C’est aussi l’avis de Malek Boutih pour qui une autre période s’ouvrira si Manuel Valls gagne le 29 janvier : « S’il y a plus d’un million et demi de votants, ça change tout. Le vainqueur n’est plus prisonnier d’un parti politique et encore moins d’un bilan. Le vote de la primaire, ça efface Hollande. Ton compteur est à zéro, tu as une nouvelle vie, comme dans les jeux vidéo. »

“ON LUI AVAIT DIT DE PURGER, MAIS IL EN A TROP FAIT.” UN DÉPUTÉ PROCHE DE MANUEL VALLS

 ??  ?? L’ex-Premier ministre, le 12 janvier, après le premier débat télévisé de la primaire de la gauche.
L’ex-Premier ministre, le 12 janvier, après le premier débat télévisé de la primaire de la gauche.

Newspapers in French

Newspapers from France