L'Obs

Voyage en France (3/16) Les Parisiens du 16e face aux SDF

Pour prendre le pouls du pays à la veille du scrutin présidenti­el, “l'Obs” retourne à la rencontre de ces Français qui furent au coeur des enjeux politiques, économique­s et sociaux du quinquenna­t. Cette semaine, les habitants du 16e face aux SDF

-

Au comptoir du café Le Chalet, à l’angle de la rue de la Pompe et de la rue de la Tour, Benoît M., retraité à casquette en tweed et chaussures en daim marron, se lâche : « Attendez que Fillon soit élu, il va balayer tout ça. » Balayer ? A ce point-là ? « Hidalgo était protégée par Hollande, poursuit-il, énervé, mais quand ce sera Fillon, ce sera autre chose, on déplacera ces gens, ils n’ont rien à faire ici, c’est dangereux. » « Balayer », « déplacer », décidément le monsieur à la casquette ne recule devant aucune expression, aussi sinistre soitelle, pour dire son refus de voir s’installer un centre d’hébergemen­t d’urgence pour SDF en lisière du bois de Boulogne.

Dans ce 16e arrondisse­ment de Paris chau é à blanc par son maire, Claude Goasguen (LR), où la droite classique est très largement majoritair­e à toutes les élections, le discours politique s’est radicalisé : « C’est vrai que les gens râlent plus ouvertemen­t contre les immigrés aujourd’hui, commente Carla Zazzali, la présidente de l’Associatio­n des Commerçant­s de l’Avenue Mozart. Ils peuvent tenir des propos plus extrêmes. Mais attention, ici, les riverains pensent surtout à préserver leurs biens, leur patrimoine et leur style de vie. On est plutôt Fillon. Marine Le Pen, c’est pas notre tasse de thé. » Certes. Mais si le programme économique de la candidate du Front national ne convient pas aux libéraux du quartier – trop d’Etat, trop de protection­nisme, trop d’impôts –, certains approuvent, dans le secret des urnes, ses positions sur la « préférence nationale ». « Plein de gens ici votent FN, mais chut, c’est un secret, plaisante un pharmacien du quartier. Les bourgeois n’assument pas de dire qu’ils ne veulent pas d’étrangers chez eux, et pourtant c’est le cas. Moi, j’ai voté Hollande en 2012, je dois bien être le seul par ici, mais en mai prochain ce sera Macron. Progressis­te et libéral, ça me va. »

A quelques encablures du jardin du Ranelagh, les rues commerçant­es sont prospères et les allées verdoyante­s accueillen­t les plus grosses fortunes de France et d’ailleurs. Pas un SDF qui gêne, pas une anecdote de mauvaise rencontre entre un sans-abri et un riverain. « J’ai toujours été modéré, je n’ai jamais défendu aucune cause extrême », explique Christian Blanchard-Dignac, le président de la Coordinati­on pour la Sauvegarde du Bois de Boulogne, le groupement d’associatio­ns qui s’est élevé contre l’installati­on du centre d’hébergemen­t dans le bois. « La seule cause qui m’intéresse, c’est celle de l’environnem­ent. Attention, pas celle de l’écologie politique, précise-t-il au cas où on le prendrait pour un gauchiste. Je veux renforcer le classement du bois de Boulogne, ce n’est pas un terrain constructi­ble disponible. » Et concrèteme­nt, en mai, que fera-t-il de son bulletin de vote ? Il élude : « Je ne fais pas de politique. »

Dans son grand appartemen­t de l’avenue Mozart, Dina L., autoentrep­reneur dans le service à la personne, avoue, elle, que le seul sujet qui la préoccupe aujourd’hui, c’est ses impôts. « Avec Hollande, je n’en ai jamais payé autant. Encore que, sous Sarkozy, c’était énorme aussi, admet-elle. C’est pour ça que j’ai voté Fillon à la primaire de la droite. » Cette quinqua élégante veut croire que le nouveau champion de LR fera ce qu’il a dit, c’est-à-dire qu’il baissera la fiscalité des revenus élevés. « Je pourrais me laisser séduire par Macron, ajoute-t-elle, il est jeune, libéral, il a l’esprit d’entreprise, mais c’est encore un bébé. »

Pour Luna enfin, la gardienne de son immeuble, ce qui comptera en mai 2017, ce sont « les valeurs » des candidats. Alors elle votera Fillon. « Parce qu’il a les mêmes que moi, et qu’il est catholique. »

 ??  ?? En mars dernier, des opposants au centre d’hébergemen­t de SDF dans le 16e manifesten­t lors de la présentati­on du projet.
En mars dernier, des opposants au centre d’hébergemen­t de SDF dans le 16e manifesten­t lors de la présentati­on du projet.

Newspapers in French

Newspapers from France