Politique Alexandre Jardin président ?
Après avoir sillonné LA FRANCE pendant trois ans, l’auteur du “Zèbre”, qui milite pour une DÉMOCRATIE CITOYENNE, a laissé tomber la promotion de son nouveau roman. CANDIDAT à la présidentielle, il se rêve en ultime recours contre le Front national
Le 25 décembre à Paris, dans le hall d’un immeuble haussmannien proche de la place de Clichy, quelqu’un a déposé pour Alexandre Jardin une enveloppe en papier kraft, sur la margelle, près des boîtes aux lettres. A l’intérieur dix boîtes de vitamine C et ce mot, anonyme, au feutre bleu : « Tenez bon. » Alexandre Jardin, auteur de romans à succès comme « Fanfan », « le Zèbre » et « l’Ile des gauchers », est candidat à l’élection présidentielle depuis le 3 décembre. Un geste fou, à mettre en relation avec un livre soudain bien plus grave qu’il a écrit en 2010, « Des gens très bien », où il retraçait les activités de son grand-père, Jean Jardin, nommé directeur de cabinet de Pierre Laval deux mois avant la rafle du vélodrome d’Hiver. Depuis, son ardeur à servir la France en citant de Gaulle exaspère autant qu’elle intrigue.
Les ricaneurs ricanent, surtout depuis la brique de lait qu’il a jetée à Bruno Le Maire dans « l’Emission politique » de France 2. Sa candidature est une bonne farce à servir à l’heure de l’apéro sur le thème « cause toujours le scribouillard à trois francs six sous », dans le même shaker qu’Hugues Aufray, candidat malgré lui à la présidentielle. D’autres connaissent ses dix-sept années de militantisme associatif, les miracles accomplis quotidiennement par le programme « Lire et faire lire », présent dans cent départements, l’outre-mer compris, qu’il a démarré en 1999 pour mener par milliers, dans les écoles, des retraités afin d’apprendre la lecture aux enfants. Ceux-là, moins carnassiers, trouvent « rigolo » qu’il entre dans le jeu de quilles politique, d’autant que deux constats très partagés sous-tendent son action.
Il y a d’abord que la France étouffe d’être trop centralisée. Tout vient d’en haut. Le système vertical n’est plus adapté. C’est la démocratie qu’on assassine, disent en choeur ses sympathisants, mettre fin à « quatre cents ans de verticalité » devient essentiel. Les correspondants à Paris de la presse étrangère, les Usbek et Rica d’aujourd’hui, sont d’ailleurs les premiers à appeler « roi élu » le président de la République française et à décrire cette drôle de mécanique monarchiste qui ne dit pas son nom (1). Jardin fulmine contre les lois « sans rapport avec le terrain » et des kilomètres de normes absurdes produites par des novices à peine sortis du ventre de l’ENA. Et de citer l’ancien ministre du Budget, aujourd’hui médiateur des normes applicables aux collectivités locales, Alain Lambert : il estime que leur prolifération a « tué » la démocratie et que les administrations règnent comme au temps des monarchies. « Les gouvernements successifs se sont mis à dos l’ensemble des professions avec leurs décisions hors-sol », dit Jardin, en citant la réforme de l’éducation décidée à Paris qui génère dépressions et démissions en série.
« Le fonctionnement pyramidal ne règle plus les problèmes. L’éloignement de la décision est en train de foutre en l’air le pays. Il va y avoir une révolte française. Il est de notre devoir d’en déclencher une positive. » S’ajoute la fameuse déconnexion des élites, lesquelles ne débattent plus qu’entre elles, frappées du « syndrome de Marie-
« RÉVOLTONS-NOUS ! », par Alexandre Jardin, Robert Laffont, 144 p., 14 euros (en librairies le 9 février).
Antoinette », pour reprendre l’expression de Jean-Luc Wingert, consultant et diplômé de l’EHESS, qui va jusqu’à penser que « les élites françaises attendent que le peuple s’exaspère et vienne contribuer à débloquer la situation avec responsabilité et panache ». En novembre à Lyon, au Café de la Cloche, c’est justement pour répondre à l’exaspération qui vient qu’Alexandre Jardin a créé son parti, Les Citoyens, au cours d’un de ces Facebook Live dont il est désormais coutumier : des séquences interactives filmées avec un smartphone retransmises en direct sur son compte Facebook, en troisième place pour la fréquentation dans le classement des candidats, après ceux de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen et juste devant celui de François Fillon. Une fois dépassée l’impression étrange qu’on a à voir un homme de 50 ans faire de longs selfies pour s’interviewer lui-même dans la foule avant de faire tourner la parole, les débats sont très intéressants. Jean-Louis Borloo, son ami depuis quinze ans, dit qu’il y a en France « un tissu associatif hallucinant dont on ne parle jamais ». Il raconte qu’« Alexandre est toujours partant pour aller au diable vauvert engueuler un préfet ou donner un coup de main à quelqu’un qui n’a pas les codes pour décrocher une subvention. Il est invraisemblable et il est vrai. C’est l’anti-bidon. Quand je vois avec quelle condescendance la bonne société traite un garçon comme ça! » Le ton de Jean-Michel Aphatie lors d’une interview radiophonique fin décembre a beaucoup choqué. « Il lui parlait comme à un demeuré. La critique est facile, mais lui s’est remonté les manches pour proposer des choses concrètes », commente un ingénieur agronome. Il y aurait bien quelques intellectuels pour le soutenir publiquement, comme Edgar Morin, mais Alexandre Jardin ne souhaite pas la venue de personnalités trop en vue dans son action « foncièrement populaire ».
Il pourrait bien réviser son attitude car l’improbable est survenu. Lui qui, en 2015 dans un essai intitulé « Laissez-nous faire! On a déjà commencé », estimait qu’« aller à l’élection » serait un signe d’échec, lui qui voulait influencer sans pousser son pion sur l’échiquier, a donc annoncé sa candidature sur France-Info. Par nécessité, dit-il, faute d’une audience suffisante pour « faire entendre la voix de ceux qui ne comptent plus ». La veille encore se tenait à la brasserie Wepler, devenue son QG à Paris, là où la province vient manger des huîtres après le théâtre, un autre Facebook Live. Les fondateurs des « maisons des citoyens », nées spontanément pour le soutenir depuis septembre – plus de deux cents –, s’étaient donné rendez-vous. Il y avait aussi Nicolas Chabanne, l’inventeur de la « Marque du consommateur » et des « Gueules cassées », deux initiatives de « consommacteurs ». C’est l’une des éminences grises d’Alexandre Jardin, lequel confesse une fascination pour « ce personnage hors norme ». Depuis cette soirée, chaque maison citoyenne s’active en son fief pour trouver les cinq cents parrains nécessaires à la validation de sa candidature, essentiellement parmi les maires ruraux, nombreux à ne pas être encartés.
Trois années passées à voyager en France dans le cadre de son autre association, Bleu Blanc Zèbre, qui rassemble les initiatives locales susceptibles d’être modélisées, comme dans le film « Demain », ont convaincu Jardin que le « découragement des
“APHATIE LUI PARLAIT COMME À UN DEMEURÉ”
élus locaux est total ». L’écrivain-vu-au-Flore est en train de devenir le porte-parole des maires ruraux offensés par « l’Etat central ». L’héritier, fils de l’écrivain Pascal Jardin, auteur du « Nain jaune », l’enfant du sérail adoubé dans sa vingtième année par Gallimard et promis à un destin de notable bien plan-plan entre les stations de métro Rue-du-Bac, Odéon et Saint-Germain-des-Prés, est passé dans une autre dimension. Sur l’extinction programmée des bourgs-centres et la « démocratie locale de proximité vouée à disparaître », il est intarissable : « C’est ce que veulent au fond les partis et les technocrates. Ils souhaitent la création de grands ensembles qu’ils contrôlent. La logique du pouvoir l’emporte sur la logique démocratique de proximité sans que les Français s’en rendent compte. » Alexandre Jardin a tout de même publié en octobre une nouvelle harlequinade intitulée « les Nouveaux Amants » et immédiatement converti son à-valoir en billets de TGV. Le livre s’est très mal vendu. Olivier Nora, patron de Grasset, a fini par le rappeler à l’ordre par SMS pour lui demander de se concentrer sur sa promotion plutôt que sur celle des bergères fantastiques du Gévaudan ou du « patron génial du Medef du Nord » dès qu’on lui tendait un micro. « Tu t’occupes toujours de tes pauvres ? » lui a demandé Jean-Paul Enthoven, son éditeur, la dernière fois qu’ils se sont vus. Jamais le titre de son premier roman ne l’aura si bien défini : « Bille en tête ». Récemment encore, il s’est pris d’affection pour Martine Jolly, maire de Courcy (Marne), village de 1034 habitants avalé par le Grand Reims dans le sillage de la loi NOTRe, qui a créé nos treize nouvelles régions. C’est là l’une de ces lois passées « sans tambour ni trompette », dit Martine Jolly, un rouleau compresseur sur les « petites bonniches de la République » comme elle. « Je suis une élue. J’ai le coeur à gauche. Je ne savais pas qu’un jour j’aurais des problèmes pour voter. » Parrainer Jardin? Elle réfléchit.
« Le pays est prêt à renverser la table », expliquait-il le 3 janvier devant le Club de la presse de Metz à un confrère du « Républicain lorrain », à l’occasion d’une journée avec les « faizeux » de la ville. Sous ce label balourd, il rassemble les personnes qui font, inventent, innovent, cherchent et trouvent des solutions, souvent douées sans la conscience de l’être. « J’ai donné trois ans de ma vie pour repérer les gens capables de réparer le pays », dit-il. Au programme du jour, la visite des jardins collaboratifs du réseau des Incroyables Comestibles. Dans le parc recouvert de givre, il est là, en parka fourrée et chaussures de caoutchouc, à discuter avec les jardiniers. Il pose des questions et, surtout, il écoute. Pour le dire simplement, il y a beaucoup de gentillesse et d’authenticité dans sa façon d’être.
Pour ce périple lorrain, son bras droit est du voyage. C’est Robert Branche. Nommé « architecte du programme », ce polytechnicien vif et amusé vient d’écrire dans sa 61e année un essai intitulé « 2017. Le réveil citoyen » (Ed. du Palio). A vingt ans et quelques, il était déjà dans un bureau de 24 mètres carrés avec vue sur la tour Eiffel à produire des lois « hors-sol » (« hors-sol » est leur mot à tous), avant de prendre conscience de « la folie d’un système verticalisé » et de partir en courant. Un repenti en somme, lecteur attentif du géographe Christophe Guilluy – lequel observe le mouvement « avec bienveillance » – et de ses travaux controversés sur la « France périphérique ». La journée se poursuivra par la visite d’un « fab lab » plein de bricoleurs inspirés d’où l’auteur de « Joyeux Noël » ressortira la mine réjouie à la nuit tombée : « Comment voulez-vous qu’un pays aussi génial ne s’en sorte pas ? » Puis c’est le rendez-vous très attendu de la maison des citoyens de Metz, dans une brasserie comme souvent. Une centaine de personnes sont là, un verre à la main, certaines dehors, à l’abri d’une pluie fine sous les auvents.
Jean Stamm, maire de Solgne, a fait 24 kilomètres pour offrir son parrainage, le trente-septième, sous les bravos. Jardin filme tout. Au mur, BFMTV diffuse une émission politique intitulée
“TU T’OCCUPES TOUJOURS DE TES PAUVRES ?”
« Valls-Peillon : la guerre des projets ». « On s’en fout! » crie quelqu’un. Quelques applaudissements, toute la salle rit, mais c’est un rejet sans acrimonie. Une lassitude plutôt. Au clivage droitegauche frappé d’obsolescence, Les Citoyens proposent de substituer France jacobine versus démocratie citoyenne. Ceux qui sont là composent une foule sentimentale, comme dans la chanson. Ce sont en majorité des gens issus des classes moyennes et de la ruralité, ces « classes fragiles », comme dit Jardin; des couples qui font avec deux smics; des « Colibris » partisans de la sobriété heureuse chère à Pierre Rabhi, à qui l’écrivain-candidat emprunte ce slogan simple : « faire sa part ». Dans toutes ces réunions, la France qui va « au » coiffeur est là, les gens très lettrés, moins, mais le 10 janvier, il a fait salle comble à l’Université populaire de Caen. Le mouvement attire les abstentionnistes, les non-inscrits, ceux qui votent blanc. On pense aux sociologues Thomas Amadieu et Nicolas Framont, qui, dans « Les citoyens ont de bonnes raisons de ne pas voter » (Le Bord de l’eau), expliquent que bien des préjugés populaires sont justes et que l’abstention est la réponse logique aux renoncements d’une classe politique au ser- vice de 10% de la population : un dessus de panier hétéroclite composé des grandes fortunes, des classes aisées et des gens d’influence – universitaires, journalistes de renom, figures du sport et du spectacle. Les rois sont nus. La certitude qu’ils ne représentent plus l’intérêt général est au coeur de cette désaffection. La semaine dernière, dans un train de banlieue, un moustachu costaud a apostrophé « Alexandre » : « J’espère que vous serez candidat. Pour moi, ça sera vous ou Marine. » Le signe que son populisme débonnaire recrute aussi parmi les énervés d’extrême droite. Depuis cette brève rencontre qu’il raconte sans arrêt, l’écrivain se rêve en outsider des égarés. Pas question de laisser la fille à Le Pen capter la révolte française. « Est-ce qu’on attend le pire ? Les gens vont vouloir virer les élites avec ce qu’ils ont sous la main. »
Depuis dix jours, son nouveau site, le « WikiCitoyen » (accessible depuis le site Lescitoyens1.fr), invite chacun à participer à la construction du programme. « Nous ne sommes pas en position de répondre à toutes les questions, mais de mettre en place la condition pour trouver la solution », expliquent Jardin et Branche. Aucune promesse sur le chômage, la Sécu ou la lutte antiterroriste. Eux préfèrent imaginer un système qui pourrait ressembler à cela : cinq cents départements correspondant aux « bassins de vie » réels, chacun d’entre eux ayant toute latitude pour agir localement, mais avec un cahier des charges commun donné par l’Etat pour garantir l’égalité républicaine. Dans cette France à réformer sur « un temps long », le Sénat devient un Parlement des régions tandis qu’une troisième chambre, citoyenne et tirée au sort, dispose d’un droit de regard sur les lois – le tirage au sort se révélant, de l’avis des sociologues qui l’ont observé, un excellent outil pour oxygéner la vie politique. Le duo propose aussi d’emprunter au modèle suisse sa praxis référendaire et à la Scandinavie et à l’Islande leur mode de fonctionnement participatif. Le leitmotiv est la mutualisation à l’échelon national de l’intelligence collective de « nos territoires », autre élément d’un langage commun. C’est peu dire qu’Alexandre Jardin en exaspère plus d’un avec son drôle de lexique. Beaucoup d’internautes arrivés sur ses sites auront détalé en l’entendant parler de « [s]es zèbres » à travers la France.
“POUR MOI, CE SERA VOUS OU MARINE”
(1) « L’Atelier du pouvoir » du 7 janvier, France-Culture.