FN Guerre et paix chez les Le Pen
Campagne oblige, Marine Le Pen et sa nièce Marion ont cessé les hostilités. Hier rivales, elles sont désormais associées. Leur priorité : la bataille pour l’identité de la France
Q uand on cherche à savoir siMarine Le Pen peut compter sur la loyauté de sa nièce Marion, si la dissonance de leurs discours reflète de profondes tensions ou si elle ne cacherait pas plutôt un habile numéro de duettistes, on a droit à une réponse offusquée. « Mais enfin, c’est epsilonesque, s’emporte un proche des deux femmes. Dans nos têtes, nous menons l’ultime combat, sinon demain on aura la charia ! » Sur ce sujet précisément, elles divergent. La patronne du Front national se garde de toute formule à l’emporte-pièce et estime que « l’islam est compatible avec la République ». La députée du Vaucluse, elle, nuance : « Toutes les lectures de l’islam ne sont pas compatibles avec la République. » Selon Marion Maréchal-Le Pen, « la charia est déjà à Toulon ».
Ce pas de deux est à l’image du feuilleton qu’elles offrent depuis l’automne dernier. Rembobinons les épisodes: en octobre, « Marine » interdit à « Marion » de se rendre dans « l’Emission politique » de France 2 ; en novembre, « Marion » sèche l’inauguration de L’Escale, le QG de «Marine»; en décembre, « Marion » s’attaque à l’IVG et « Florian » Philippot, l’âme soeur de Marine, perd ses nerfs. Rebondissement en janvier dans ce « Dynastie » à la sauce FN : « Marion » honore de sa présence les voeux à la presse de Marine. Happy end. La candidate-présidente a remis bon ordre à ces « gamineries » (qui ne sont naturellement pas les siennes). C’est donc que le désordre régnait auparavant…
La tante et la nièce, que vingt et un ans séparent, n’ont pas la même vision de l’avenir pour le Front national. La première a l’ambition de bâtir un grand parti populiste, ce qui nécessite de rompre avec une partie de l’extrême droite. La seconde, réac décomplexée, défend l’idée de rassembler la droite nationale et l’extrême droite radicale. A l’automne, « l’agacement » est monté d’un cran, confie un cadre du Vaucluse. Euphémisme. Marine Le Pen s’irrite de l’indépendance de « Marion » qui joue trop perso. De fait, la députée se comporte davantage comme une rivale que comme une alliée. Forte de son score aux régionales en Paca, plus de 41% (un résultat légèrement supérieur à celui obtenu par la présidente du FN dans le Nord), elle est un atout pour sa tante, mais elle s’obstine à refuser tout rôle institutionnel dans la campagne. Depuis son élection à l’Assemblée nationale, la jeune femme attire la lumière. Les médias étrangers brodent sur la it-girl. Les commentateurs de la capitale anticipent la relève: si Marine Le Pen échoue en 2017, Marion Maréchal-Le Pen sera en lice pour 2022. Même Gilbert Collard, premier thuriféraire en public de la candidate, ose un « la prochaine fois, il faudra faire une primaire ». Il ne le dira pas deux fois.
“DÉRIVE GAUCHISTE”
De son côté, la nièce enrage face à l’orientation du discours officiel. Une « dérive gauchiste », disent ses amis identitaires, un « néo-chevènementisme périmé », avancent d’autres, plus tempérés. Pour elle, le parti a été colonisé par le numéro deux, le conseiller incontournable de la présidente, Florian Philippot, et ses hommes. Cet « Iznogoud » ambitieux mais pas bas de plafond revendique sa part dans la progression électorale du FN depuis son arrivée. Marine Le Pen a trouvé en cet énarque, qui dit avoir soutenu dans sa jeunesse la campagne de Jean-Pierre Chevènement, celui qui donne forme à sa pensée. Avec son frère, Damien Philippot, démissionnaire de l’Ifop pour rejoindre l’équipe rapprochée de la candidate, ils fignolent, plume à la main, le programme du FN qui sera dévoilé dans quelques semaines. Comment dès lors peser sur les choix qui seront faits ? Marine Le Pen n’a pas la culture du débat, se plaignent les «marionistes». Les «marinistes» considèrent, eux, que « Mademoiselle nièce » vit sa vie comme elle l’entend, sous
“NOUS MENONS L’ULTIME COMBAT, SINON DEMAIN ON AURA LA CHARIA !” UN PROCHE DE MARINE LE PEN ET DE MARION MARÉCHAL-LE PEN
les sunlights. De ce point de vue, le FN est un parti comme les autres : deux stars, c’est une de trop.
C’est sur une question de société que les tensions vont éclater au grand jour. Marine Le Pen, ne négligeant aucun segment électoral, est devenue la candidate « des droits des femmes ». Les débats à l’Assemblée nationale autour du délit d’entrave à l’interruption de grossesse (1) sont pour Marion Maréchal-Le Pen l’occasion d’affirmer ses convictions sur le sujet. Invitée à expliquer ce que changerait l’arrivée du Front national au pouvoir, elle répond au quotidien « Présent » qu’« il faudra revenir sur le remboursement intégral et illimité de l’avortement ». Fureur des « marinistes ». Une interview dans « Présent », qui plus est ! « “Minute” dégueule toutes les semaines sur Marine, “Présent est rassis”, difficile de faire pire, réagit un vieux de la vieille. Bon, c’est vrai que j’ai vu Marine faire campagne contre l’avortement de confort. » Mais c’était en 2012. En 2017, elle a changé.
“C’EST MA FILLE…”
Sa première gâchette, Florian Philippot, se charge de rappeler la position officielle –pas de remise en cause du remboursement de l’IVG– et tire à vue sur la députée du Vaucluse, « cette personne… seule et isolée ». La violence de l’attaque déclenche une campagne de soutien, via les réseaux sociaux, des amis de Marion Maréchal-Le Pen et de cadres FN. « Cette “personne”… Et pourquoi pas l’appeler “machine” la prochaine fois ! s’étrangle un cadre du Vaucluse. Mais ils sont dingues, ils ne savent pas qu’elle a failli ne pas naître ! » Un cri du coeur…
Pour le comprendre, il faut remonter à la fin des années 1980. A l’époque, le disco et la variété française règnent sur les platines, le fond de l’air est encore insouciant, les deux soeurs Le Pen, Yann et Marine, aiment faire la fête dans les discothèques. C’est au cours d’une de ces nuits parisiennes que « les yeux très clairs » de Yann croisent le regard d’un journaliste, Roger Auque, ancien otage au Liban. « Baroudeur est une arme de destruction massive », écrira-t-il, en 2015, en faisant le récit de sa vie mouvementée dans un livre, peu avant de décéder d’un cancer.
Au matin, Yann et Roger petit-déjeunent au rez-de-chaussée de Montretout. « L’ambiance était très détendue chez les Le Pen, plutôt sympa », note le baroudeur. Il reste deux, trois jours, puis s’en va. Marié, cette histoire était pour lui terminée. Yann, qui découvre qu’elle est enceinte, se tourne vers son père. L’enfant est le bienvenu. A la naissance de sa fille, en décembre 1989, Yann choisit de la prénommer Marion, comme sa jeune soeur, Marion-Anne-Perrine, qui en grandissant a choisi de raccourcir tout ça en Marine. C’est cette dernière qui ramènera maman et nourrisson de la maternité de Saint-Germain-en-Laye à Montretout, qui épaulera sa soeur et deviendra une deuxième mère pour Marion. L’affection profonde entre la tante et la nièce date de là. Même quand elle deviendra mère, à son tour, d’une fille et de faux jumeaux, Marine continuera à dire de Marion « c’est ma fille ». Mais on le sait, les jeunes filles s’émancipent un jour…
Cette enfance-là a donné au regard de Marion la froideur du granit. « Elle peut être duremême dans les réunions de famille », confie un proche. Une tête de bois, comme sa tante, en moins débridé. Son rigorisme lui vient du côté paternel. Samuel Maréchal, fringant dirigeant du FNJ, la formation de jeunesse du parti, a épousé Yann et adopté Marion, alors âgée de deux ans. Avec ce fils de pasteur pentecôtiste, la vie familiale est studieuse. Marion porte fièrement le patronyme de son père accolé à celui des Le Pen. Elle échange beaucoup avec ce grand-père pasteur, qui vit à Nantes. Ils parlent de la foi, des valeurs chrétiennes. Libre de choisir, elle embrassera le catholicisme.
LES PIEDS DANS LE PLAT
Même si, depuis, Samuel Maréchal a rompu avec Jean-Marie Le Pen dont il était devenu le bras droit, même s’il a refait sa vie et développé ses affaires en Afrique, il n’est jamais loin de sa fille. On l’aperçoit lors des régionales en Paca, à la dernière rentrée politique de la députée du Vaucluse au Pontet. Il minimise son influence, « qu’une fille voie ou appelle son père, c’est naturel ». Son rôle est bien plus politique, c’est à lui que le FN des années 1990 doit l’un de ses slogans « Ni gauche, ni droite, Français ! », qui n’est pas sans rappeler sa version 2017. C’est aussi lui que l’on retrouve à la création de Génération Le Pen, cette association destinée à attirer ceux qui partagent les idées du Front mais ne veulent pas s’afficher dans ses rangs, dont sa belle-soeur, Marine, prendra
ensuite la présidence. Marion Maréchal-Le Pen a-t-elle sollicité l’avis de son père avant de riposter à la violente charge de Florian Philippot? « Il est normal dans un parti d’avoir des différences, des tendances », esquive-t-il, ajoutant sur les liens qui unissent sa fille et son ex-belle-soeur: « La notion de famille est très forte. »
Marion Maréchal-Le Pen franchit, ce jour de décembre, la ligne jaune qu’elle s’était fixée. Dans « le JDD », elle met les pieds dans le plat, se réfère à l’élection de Marine Le Pen au Congrès de 2011, « elle a été élue sur un programme sans ambiguïté sur ce sujet de l’IVG. Qu’elle veuille écarter un certain nombre de sujets pendant la campagne, c’est son droit ». Elle cogne : « Quand on fait un changement de stratégie, on le fait sur les instances du parti. Pas sur BFMTV. » Une pierre dans le jardin de sa tante, une autre dans celui de Philippot. On la dit seule ? Isolée ? « Je rappelle que je suis arrivée première au dernier congrès de 2014. » Cruelle remarque pour Florian Philippot relégué par les militants à la quatrième place. La crise est publique.
“CONTRE-GÉNÉRATION 68”
Voilà sept ans, les plus chevronnés du parti se moquaient– « Barbie fait de la politique » – en la voyant débarquer aux élections régionales dans les Yvelines et craquer face à une caméra, incapable de répondre aux questions des journalistes. Depuis, la poupée s’est avérée bosseuse, charpentée et douée. La Manif pour tous l’a révélée. Dans les cortèges des opposants au mariage gay en 2013, cette « bourgeoise gâtée » comme elle dit, s’est retrouvée parmi les siens, en osmose avec une jeunesse de droite, décomplexée sur les valeurs familiales, se pinçant le nez sur l’amour gay et affichant un catholicisme combatif. C’est la « contre-génération68 », a-t-elle clamé en battant le pavé. Au palais Bourbon, elle défend des manifestants mis « dix-sept heures » en garde à vue, « ces prisonniers politiques ». La gauche proteste mais cette nouvelle réac, élancée, jouant de sa chevelure blonde et d’un sourire à faire se damner les fabricants de pâte dentifrice, subjugue jusqu’à certains de ses opposants. Est-ce ce minois frais et dessiné sans la mâchoire carnassière des Le Penou l’ampleur du « phénomèneMarion » qui les trouble?
Dans les rangs du parti, ce sont les militants qui sont troublés par la neutralité de Marine Le Pen vis-à-vis des opposants à la loi Taubira. La présidente du FN est convaincue que cette France conservatrice et bourgeoise qui défile ne votera pas pour elle. La victoire de François Fillon à la primaire de la droite consolide sa stratégie, qui fait merveille auprès des classes populaires et des petites classes moyennes, ces « oubliés » qui viennent à elle comme vers sainte Rita. S’il faut dire « et gauche, et droite » pour rallier les « droitards » du FN, elle y consent. « La thèse officielle de Marine est qu’elle est en position de synthèse entre Philippot et Marion », souligne Jean-Yves Le Gallou, cofondateur du Club de l’Horloge et ex-mégrétiste, qui a créé la fondation identitaire Polemia.
Ces « chicayas », comme dit Marine Le Pen, pour qualifier ces affrontements, ne donnent pas l’image d’un parti en ordre de bataille. Alors, elle recadre tour à tour sa nièce et son numéro deux. « N’abîmez pas la campagne, sinon les militants vous en voudront. » La députée du Vaucluse est chargée d’attaquer le flanc droit de François Fillon, elle sera ainsi loyale sans avoir à se renier. Florian Philippot est, lui, envoyé sur le flanc des déçus de la gauche. Avant la grande bataille, chacun est prié de rester dans son couloir. Et de filer droit. (1) Adopté le 1er décembre dernier.