L'Obs

L’humeur de Jérôme Garcin

- J. G. Par JÉRÔME GARCIN

L ’année a à peine commencé que le pire est déjà arrivé. L’extrême droite a remporté la présidenti­elle. Le pays est tétanisé, et la capitale, sens dessus dessous. Si les gagnants ont le succès discret, les perdants donnent de la voix et du poing. Ils promettent un « printemps français », appellent à la désobéissa­nce civile, jurent de former des maquis, assaillent la toile de hashtags #résistance et #révolte. Dans « la Nuit du second tour » (Albin Michel, 16 euros), un roman de politique-fiction imminente, rien n’est nommé, mais tout est dit. Eric Pessan n’a pas besoin de désigner le parti victorieux pour qu’on le reconnaiss­e. A quatre mois d’une élection à haut risque, le dramaturge de « Tout doit disparaîtr­e » annonce l’apocalypse. Il promène son héros, David, dans un Paris en état de choc, où les voitures brûlent, où des émeutiers érigent des barricades, où l’air, mélange de tôles carbonisée­s et de gaz lacrymogèn­es, devient irrespirab­le, où certains tuent et d’autres se tuent. Ici, la violence est sans illusion, et la colère, sans espoir : « Les motifs de révolte ont été tellement fréquents ces dernières années que la résignatio­n l’emportera, comme toujours. Le résultat de l’élection ne changera rien. » On voit que, pour Pessan, l’issue du prochain scrutin est inéluctabl­e. Il préconise même de prendre la mer avant qu’il n’y ait le feu sur la terre. Ce que fait, dans ce roman à deux voix, l’ex de David. Mina a prophétisé la catastroph­e, elle fuit « un pays qu’elle ne sait plus aimer » et embarque sur un cargo à destinatio­n des Antilles, la valise pleine de livres de Cervantès, Michaux, Melville. C’est au milieu de l’Océan qu’elle apprendra, par la voix du commandant, les résultats de l’élection, avant de s’en retourner, impavide, à ses lectures d’un autre temps. Est-ce parce qu’il a lui-même effectué, en 2012, une longue traversée Dunkerque-Pointe-à-Pitre à bord d’un porte-conteneurs qu’Eric Pessan se montre plus convaincan­t sur les vertus de la lenteur transatlan­tique que sur les vices d’un suffrage dantesque? On apprendra notamment que ces navires géants sont de véritables usines qui raffinent leur propre carburant et qu’y sonne, toutes les dix minutes, « l’homme mort », un système de veille permettant de s’assurer que le bateau est bien sous contrôle humain. On devrait imaginer, dans la Constituti­on, un même dispositif de sécurité. Les Français sauraient ainsi que, en répondant au signal, le chef de l’Etat est présent à son poste et conscient. En somme, il suffirait d’installer un homme mort à l’Elysée.

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