Littérature Decoin & fils
Le père est membre de l’Académie GONCOURT, le fils est assistant-RÉALISATEUR. Tous deux publient de beaux ROMANS qui tournent autour du thème de la noyade
« LE BUREAU DES JARDINS ET DES ÉTANGS », par Didier Decoin, Stock, 384 p., 20 euros. « SOUDAIN LE LARGE », par Julien Decoin, Seuil, 256 p., 13 euros. DIDIER AU JAPON
Même à l’autre bout du monde, Didier Decoin n’est jamais très loin de l’eau. Dans « le Bureau des jardins et des étangs », il nous embarque dans le Japon de l’an mil. Katsuro, pêcheur hors pair et fournisseur officiel de carpes pour l’empereur, s’est noyé dans une rivière, la Kusagawa. Pour préserver la réputation de son village, Miyuki, sa veuve de 27 ans, doit continuer son travail. Jusque-là « sa vie s’était résumée à attendre l’homme qui l’avait épousée ». Elle n’a rien connu d’autre que son petit village et la fabrication occasionnelle d’objets en osier. Sans attendre la période de deuil traditionnelle de sept jours, elle se lance dans une expédition afin de livrer à l’empereur, « qui ne s’est probablement jamais posé au bord d’un de ses bassins », les derniers poissons que Katsuro a pêchés. Son périple se transformera rapidement en voyage initiatique. La jeune femme affrontera les dangers de la forêt, devra maîtriser des sentiments encore inconnus et faire face à d’étranges phénomènes mystiques. Didier Decoin, lui, trouve l’équilibre parfait entre le récit du voyage et celui de la vie passée de Miyuki et Katsuro. Une luciole, une odeur, une auberge, tout est bon pour rappeler à l’héroïne celui qui lui a tout appris et qui, bien avant elle, avait emprunté ce chemin des dizaines de fois : « Miyuki n’avait plus revu de luciole depuis cette nuit de printemps où Katsuro l’avait autorisée à le suivre jusqu’à la Kusagawa. […] Katsuro lui avait expliqué que les lucioles personnifiaient la brièveté de l’existence. » A travers ses descriptions précises et sa manière de raconter la passion qui anime ses deux personnages, Didier Decoin démontre une étonnante maîtrise des us et coutumes de la vie amoureuse japonaise ancestrale. Sa belle odyssée au pays du Soleil-Levant offre une plongée merveilleuse, au sens propre du terme, au coeur d’une culture nippone trop méconnue.
JULIEN PREND LE LARGE
Qui a copié sur l’autre ? Comme son père, Julien Decoin commence son roman par une noyade. Et comme dans « le Bureau des jardins et des étangs », le récit est rythmé par une histoire d’amour. Cette présence de l’eau n’est pas un hasard : chez les Decoin, on a la passion du bateau. La comparaison s’arrête pourtant ici car dans « Soudain le large » il n’est pas question d’aller jusqu’au Japon. On peut aussi se noyer dans le port de Cherbourg. C’est là qu’un homme, Charles, sauve une inconnue, par une nuit noire. A-t-elle tenté de se suicider ou est-elle simplement tombée à la flotte par inadvertance ? On n’en saura rien puisqu’elle quitte son bienfaiteur dès le lendemain matin, presque sans rien dire. Mais quelques heures ont suffi à Charles pour tomber amoureux. Il traîne son spleen, jusqu’à ce que Catherine réapparaisse. Une relation, surtout charnelle, s’installe. Si Didier Decoin, membre de l’Académie Goncourt depuis 1995, décrit assez longuement et précisément les scènes d’amour entre ses deux personnages, Julien préfère les descriptions minimalistes. Dans ce deuxième roman, cet auteur de 31 ans adopte un style moderne qui dépoussière le genre. Sans jamais tomber dans le cliché, son écriture crue, directe et rythmée, laisse une grande part à l’imagination du lecteur. Et la narration s’emballe vraiment lorsque Catherine, qui vient passer le week-end à Cherbourg, trouve étrangement vide l’emplacement du bateau de Charles. Des gendarmes l’interpellent et « lui montrent une photo du bateau. Une famille à bord, un jeune père, sa femme et sa fille. Mais pas de Charles ». Elle comprend que le voilier sur lequel ils se sont aimés, Charles l’avait volé. Son monde s’écroule. Aurait-elle « passé ses nuits avec un voleur, un dealer ? Un assassin ? » Malgré ses doutes, sans rien avouer aux enquêteurs, la voilà qui se lance, seule, à la recherche de celui qu’elle aime pour enfin connaître la vérité. Les Decoin, décidément, aiment les héroïnes esseulées qui courent après une partie d’elles-mêmes.