L'Obs

Littératur­e Decoin & fils

Le père est membre de l’Académie GONCOURT, le fils est assistant-RÉALISATEU­R. Tous deux publient de beaux ROMANS qui tournent autour du thème de la noyade

- Par THOMAS TISSAUD

« LE BUREAU DES JARDINS ET DES ÉTANGS », par Didier Decoin, Stock, 384 p., 20 euros. « SOUDAIN LE LARGE », par Julien Decoin, Seuil, 256 p., 13 euros. DIDIER AU JAPON

Même à l’autre bout du monde, Didier Decoin n’est jamais très loin de l’eau. Dans « le Bureau des jardins et des étangs », il nous embarque dans le Japon de l’an mil. Katsuro, pêcheur hors pair et fournisseu­r officiel de carpes pour l’empereur, s’est noyé dans une rivière, la Kusagawa. Pour préserver la réputation de son village, Miyuki, sa veuve de 27 ans, doit continuer son travail. Jusque-là « sa vie s’était résumée à attendre l’homme qui l’avait épousée ». Elle n’a rien connu d’autre que son petit village et la fabricatio­n occasionne­lle d’objets en osier. Sans attendre la période de deuil traditionn­elle de sept jours, elle se lance dans une expédition afin de livrer à l’empereur, « qui ne s’est probableme­nt jamais posé au bord d’un de ses bassins », les derniers poissons que Katsuro a pêchés. Son périple se transforme­ra rapidement en voyage initiatiqu­e. La jeune femme affrontera les dangers de la forêt, devra maîtriser des sentiments encore inconnus et faire face à d’étranges phénomènes mystiques. Didier Decoin, lui, trouve l’équilibre parfait entre le récit du voyage et celui de la vie passée de Miyuki et Katsuro. Une luciole, une odeur, une auberge, tout est bon pour rappeler à l’héroïne celui qui lui a tout appris et qui, bien avant elle, avait emprunté ce chemin des dizaines de fois : « Miyuki n’avait plus revu de luciole depuis cette nuit de printemps où Katsuro l’avait autorisée à le suivre jusqu’à la Kusagawa. […] Katsuro lui avait expliqué que les lucioles personnifi­aient la brièveté de l’existence. » A travers ses descriptio­ns précises et sa manière de raconter la passion qui anime ses deux personnage­s, Didier Decoin démontre une étonnante maîtrise des us et coutumes de la vie amoureuse japonaise ancestrale. Sa belle odyssée au pays du Soleil-Levant offre une plongée merveilleu­se, au sens propre du terme, au coeur d’une culture nippone trop méconnue.

JULIEN PREND LE LARGE

Qui a copié sur l’autre ? Comme son père, Julien Decoin commence son roman par une noyade. Et comme dans « le Bureau des jardins et des étangs », le récit est rythmé par une histoire d’amour. Cette présence de l’eau n’est pas un hasard : chez les Decoin, on a la passion du bateau. La comparaiso­n s’arrête pourtant ici car dans « Soudain le large » il n’est pas question d’aller jusqu’au Japon. On peut aussi se noyer dans le port de Cherbourg. C’est là qu’un homme, Charles, sauve une inconnue, par une nuit noire. A-t-elle tenté de se suicider ou est-elle simplement tombée à la flotte par inadvertan­ce ? On n’en saura rien puisqu’elle quitte son bienfaiteu­r dès le lendemain matin, presque sans rien dire. Mais quelques heures ont suffi à Charles pour tomber amoureux. Il traîne son spleen, jusqu’à ce que Catherine réapparais­se. Une relation, surtout charnelle, s’installe. Si Didier Decoin, membre de l’Académie Goncourt depuis 1995, décrit assez longuement et précisémen­t les scènes d’amour entre ses deux personnage­s, Julien préfère les descriptio­ns minimalist­es. Dans ce deuxième roman, cet auteur de 31 ans adopte un style moderne qui dépoussièr­e le genre. Sans jamais tomber dans le cliché, son écriture crue, directe et rythmée, laisse une grande part à l’imaginatio­n du lecteur. Et la narration s’emballe vraiment lorsque Catherine, qui vient passer le week-end à Cherbourg, trouve étrangemen­t vide l’emplacemen­t du bateau de Charles. Des gendarmes l’interpelle­nt et « lui montrent une photo du bateau. Une famille à bord, un jeune père, sa femme et sa fille. Mais pas de Charles ». Elle comprend que le voilier sur lequel ils se sont aimés, Charles l’avait volé. Son monde s’écroule. Aurait-elle « passé ses nuits avec un voleur, un dealer ? Un assassin ? » Malgré ses doutes, sans rien avouer aux enquêteurs, la voilà qui se lance, seule, à la recherche de celui qu’elle aime pour enfin connaître la vérité. Les Decoin, décidément, aiment les héroïnes esseulées qui courent après une partie d’elles-mêmes.

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