L'Obs

Les bonheurs de Sophie

SOPHIE KUIJKEN, JUSQU’AU 11 MARS, GALERIE NATHALIE-OBADIA, PARIS-4E ; 01-42-74-67-68.

- BERNARD GÉNIÈS

Pas morte, la peinture ! On a beau annoncer régulièrem­ent sa défaite, elle n’en continue pas moins d’être utilisée par des bataillons d’artistes. Certains, comme la Chinoise Wang Yu, lui redonnent un coup de jeune en faisant appel à des industriel­s spécialisé­s pour créer de nouvelles textures (voir ci-contre). D’autres mettent au point de troublante­s alchimies entre technologi­e et pratiques ancestrale­s. Ainsi procède Sophie Kuijken. Née en 1965 à Bruges (Belgique), elle a travaillé durant une vingtaine d’années avant de se résoudre à détruire la plupart de ses oeuvres. Sa nouvelle aventure débute sur internet. A l’aide de mots-clés qu’elle a choisis (ce peut être un nombre, le nom d’un lieu ou un mot quelconque), elle constitue une sorte de base de données nourrie d’images d’objets ou de personnage­s. Ces éléments vont lui servir à composer des figures qu’elle va peindre. Sa seconde approche est technique, Sophie Kuijken travaillan­t par couches successive­s, superposan­t acrylique, huile puis glacis, hommage à la manière des maîtres flamands. Elle ne réalise que des portraits (personnage­s seuls ou en couple), sur fond noir le plus souvent. Les formats sont variés, du plus modeste (pour les têtes) jusqu’au plus ambitieux. Tous ont pour titre des initiales. Ainsi découvre-t-on, dès l’entrée de la galerie, « V.S.N. », un être androgyne qui, allongé de tout son long, paraît flotter dans le vide. Au-dessus de sa tête, trois poissons, deux rouges et un argenté. Sa tête est légèrement inclinée, son regard fixe de manière intense le spectateur. La lumière paraît émaner de sa chair. Non loin, un homme dont la calvitie rappelle la tonsure d’un moine tient entre ses mains le corps d’un serpent multicolor­e : ses vêtements blancs, qui évoquent la marinière et le pantalon d’un navigateur, ajoutent à l’énigme de la pose et du personnage. Etrange encore, ce somptueux portrait d’un homme (« U.M.K. ») qui paraît sorti de la série du « Cremaster » de l’Américain Matthew Barney. Drapé dans un manteau cramoisi, il tient une pose tout aussi étrange que celle des deux figures de « R.A.H. » (voir photo) : ici, un homme à la peau sombre et une femme à l’allure de madone semblent perdus dans leurs rêveries. Tout est troublant dans cette peinture. Elle nous regarde. Et elle fascine.

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