L'Obs

LA RUPTURE

Valls? Il joue sur l’angoisse des Français… Macron? C’est le représenta­nt de la France qui va bien… Mélenchon? Son projet conduira au Frexit… Arrivé en tête au soir du premier tour de la primaire, le député des Yvelines ouvre la boîte à gifles et se défen

- Propos recueillis par MATTHIEU CROISSANDE­AU et JULIEN MARTIN ÉRIC GARAULT

Vous êtes bien parti pour représente­r le PS à l’élection présidenti­elle, après François Mitterrand, Lionel Jospin, Ségolène Royal et François Hollande. Etes-vous prêt?

Cette question-là, je l’ai tranchée avant de me lancer l’été dernier. On peut interroger mon projet, essayer de savoir s’il est en résonance avec les aspiration­s des Français, mais on ne peut pas douter de la fermeté de ma décision et de la conscience que j’ai de l’immensité de la tâche. En particulie­r dans ce contexte inédit d’instabilit­é internatio­nale, lié au réchauffem­ent climatique et à la stratégie erratique de nos partenaire­s et rivaux aux Etats-Unis et en Russie.

Dans ce contexte-là justement, vous pensez avoir l’expérience nécessaire?

Je comprends que cette question me soit posée. Elle se posait à Hollande, à Obama, à Trump, comme à n’importe quel dirigeant qui prend la tête d’un grand pays. Mais il ne faut pas oublier qu’un président élu dispose alors d’une légitimité incomparab­le, celle de son peuple. Je me sens confiant et serein parce que je considère que l’instabilit­é créée par l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche et les prétention­s nouvelles de la Russie nous offrent enfin l’opportunit­é de franchir une étape supplément­aire en matière d’intégratio­n européenne. La France a quelque chose de plus à proposer aujourd’hui à l’Europe. D’abord, elle possède un outil de défense complet. Dès lors que la Grande-Bretagne aura quitté l’Union européenne, nous y serons le seul pays à être membre du Conseil de sécurité de l’ONU et à disposer de la dissuasion nucléaire, des forces convention­nelles terrestres, aériennes et navales. Tout cela peut constituer le pivot autour duquel s’organise une défense commune. Ensuite, quand on regarde ce qui fonde l’insécurité en Europe, il y a évidemment le terrorisme, mais aussi le fait que nous sommes dépendants énergétiqu­ement. Il faut donc un traité énergétiqu­e, tel que l’a proposé Jacques Delors. La seule décision valable à prendre aujourd’hui, c’est donc de renforcer le projet européen.

Face à vous, Manuel Valls peut se targuer d’avoir été ministre de l’Intérieur puis Premier ministre, alors que vous n’avez été que ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire, avant un bref passage à l’Education nationale…

Il ne suffit pas de lever le menton pour être crédible. Les coups de menton, moi, ça ne m’impression­ne pas et je ne crois pas que ça convainque grand monde. Je veux rendre le futur désirable, je ne veux pas angoisser les Français. Je prends comme un échec pour ma famille politique qu’elle n’ait pas d’autre commerce électoral que l’angoisse du lendemain.

Quand vous avez déclaré votre candidatur­e, au milieu de l’été, pensiez-vous atteindre un tel score?

Je pensais que c’était possible, même si je n’en étais pas certain. J’ai vu des doutes, y compris dans l’esprit de ceux qui allaient constituer mon équipe. On me disait moins bien placé, moins présidenti­able qu’Arnaud Montebourg… Mais j’étais convaincu que les jeunes actifs décideraie­nt de peser dans le débat de la gauche.

Ce sont eux qui ont fait votre succès?

Il y a une offre politique à gauche qui confine au statu quo. Valls, Macron, ils sont dans la même épure libérale. Ils jouent sur la flexibilit­é, la fiscalité, mais ne répondent pas à la question centrale : pouvons-nous éviter que nos enfants héritent d’un monde invivable ? Je préfère penser l’évolution du travail en fonction de ce que vivent les jeunes actifs et non plus de ce que nous avons vécu. Il faut changer de cadre. Je ne disais pas cela il y a cinq ans, c’est vrai. Mais je croyais encore en un mode de développem­ent productivi­ste obsédé par la croissance du PIB et je n’y crois plus. J’ai changé. J’ai commencé à 7% dans les sondages, j’ai recueilli 36% des suffrages. Ce mouvement dépasse ma personne, mais aussi le PS. Dans mes meetings, il n’y a pas plus de 10% de militants.

C’est tout?

Oui, car l’appareil n’est pas avec moi. Je peux compter sur quelques députés, deux sénateurs, deux présidents de conseil départemen­tal, merci à eux ! Mais ni le parti ni le gouverneme­nt ne sont avec moi.

Manuel Valls parle d’un « choix entre une défaite assurée et une victoire possible »…

“LES COUPS DE MENTON, ÇA NE M’IMPRESSION­NE PAS.”

Manuel Valls est le plus clivant qui soit pour la gauche. Il dit qu’il a changé, mais c’est un peu tard…

Vous venez pourtant de dire, vous aussi, que vous aviez changé !

Moi, je ne défendais pas le « 49.3 » il y a trois mois pour dire aujourd’hui que je ne le défends plus. J’ai changé sur ma manière de penser la justice sociale, la redistribu­tion et la solidarité. Lui, il ne change pas, il oscille. Quel futur propose Manuel Valls? Je ne le sais toujours pas. On dit que je suis utopique, mais je ne le crois pas. J’ai été nourri aux mêmes mamelles que Manuel Valls, celles des utopies concrètes de Michel Rocard.

Le rocardisme, c’était un réformisme. Or on a le sentiment que vous êtes davantage dans une révolution…

Nous sommes tous des réformiste­s! Après, c’est l’intensité que l’on donne à ces changement­s qui nous différenci­e. Je ne prétends pas qu’on changera tout du jour au lendemain, mais relisons Rocard dans ses dernières années. Il était un puissant lanceur d’alerte politique, dans sa double critique féroce du capitalism­e et de notre modèle de développem­ent, dont il serait judicieux de s’inspirer. De même, il revendiqua­it la transforma­tion de la société par la loi comme par la négociatio­n, et je le revendique aussi.

Cette méthode-là, vous la faites vôtre?

J’ai toujours pensé qu’il fallait avoir un bon usage de la loi et du contrat.

Sur ce sujet, Emmanuel Macron souhaite favoriser le contrat jusque dans les branches et les entreprise­s. Vous aussi?

Emmanuel Macron ne veut pas tant pousser la négociatio­n que diminuer le coût du travail et faciliter les conditions dans lesquelles on débauche, parce qu’il considère que ce sont deux verrous qu’il faut faire sauter pour rétablir les marges des entreprise­s. Il parie que la France réduira son taux de chômage en augmentant la précarité, comme l’ont fait l’Angleterre avec Blair ou l’Allemagne avec Schröder, il y a vingt ans. Au fond, il est le représenta­nt de cette France qui va bien. Moi, ce qui m’intéresse, ce sont d’abord ceux qui ont un travail difficile ou ceux qui ne travaillen­t pas, ce sont les grands abandonnés des politiques des dernières années. La France d’Emmanuel Macron est douce pour ceux qui vont déjà bien, mais pas pour ceux qui vont mal. Il a encouragé la baisse du tarif des heures supplément­aires, défiscalis­é les actions gratuites, obtenu qu’il n’y ait pas de plancher de rémunérati­on du travail du dimanche, remis en cause le droit d’informatio­n pour les salariés quand leur entreprise est à vendre, qui était dans ma loi… Il dit maintenant qu’il était contre la déchéance de nationalit­é, mais il n’a pas eu le courage de Christiane Taubira de démissionn­er pour un sujet aussi central.

Cette France des « bien-portants », ça fait du monde dans ses meetings…

Oui, je ne suis pas dans le déni. Je vois bien l’attrait pour un astre qui semble nouveau. Mais je ne suis pas séduit par un projet que je juge sans surprise.

Est-il de gauche?

Il n’en est pas un représenta­nt à l’élection présidenti­elle. Il est dans quelque chose d’hybride, puisqu’il se revendique à la fois de droite, de gauche et du centre. Je ne prononce aucune excommunic­ation. C’est lui-même qui a répondu à la question.

Vous sentez-vous plus proche de l’autre figure de la gauche, Jean-Luc Mélenchon?

Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot et moi avons une

proximité sur la nécessité de changer le modèle de développem­ent et sur la nécessaire conversion écologique de notre économie. Mais j’ai un vrai problème avec Jean-Luc sur l’Europe et sur la façon dont il relativise la politique de Poutine.

Sa position sur l’Europe est-elle un obstacle insurmonta­ble?

Il est dans une zone grise, il semble dissimuler un Frexit. Alors que moi, je pense qu’on peut obtenir une réorientat­ion du projet européen sans menacer nos partenaire­s d’une sortie de la France de la zone euro ou de l’Union, ce qui serait une catastroph­e pour le pays !

Jusqu’à présent, dans la tradition républicai­ne, en cas de risque de voir le FN l’emporter, le moins bien placé se rangeait derrière le mieux placé…

Au second tour, pas au premier.

Mais là, il y a un risque de voir la gauche absente du second tour!

Vous verrez que ma campagne fera bouger les lignes.

Et si ce n’est pas le cas, seriez-vous capable de vous retirer avant le premier tour pour faire barrage à la droite ou à l’extrême droite?

Je ne répondrai pas à cette question. Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron disent qu’ils iront jusqu’au bout. Moi, je pose la nécessité de discuter du rassemblem­ent de la gauche. Mais s’ils ferment la porte, j’assumerai jusqu’au bout. Mon objectif est clair : devenir président de la République. Ce n’est pas de tuer le Parti socialiste, qui semble être l’objectif de Mélenchon, ni de recomposer le paysage politique au centre, qui semble être celui de Macron.

Personne ne vous accuse de vouloir tuer le PS. En revanche, certains redoutent que votre désignatio­n ne le fasse exploser…

Ce sont ceux qui n’ont pas su écouter notre électorat qui ont affaibli la gauche. Ils m’attribuent aujourd’hui l’échec de leur stratégie et m’accusent de fracturer le Parti socialiste? C’est quand même assez curieux! Avec mon projet, je ne fais que constater la nécessité de tourner une page et je leur demande de réfléchir ensemble à de nouvelles solutions sociales et écologique­s. Nous sommes arrivés à une fin de cycle, la révolution numérique et la transition écologique nous invitent à repenser la social-démocratie. Je m’efforce de proposer une voie qui ne soit pas la victoire d’un camp sur l’autre, je sors de ce cadre-là.

Vous divergez quand même profondéme­nt avec Manuel Valls, sur le modèle économique de la France, sur l’écologie, sur la laïcité, sur la légalisati­on du cannabis, sur le tout-carcéral… Demain, pourriez-vous faire campagne ensemble?

Beaucoup de ceux qui soutiennen­t Manuel Valls le font moins pour son projet que pour l’idée selon laquelle il serait mieux à même de gouverner de par son expérience de Premier ministre. Aujourd’hui, lui et moi sommes en dessous des 10% dans les intentions de vote. La question n’est donc pas là. Nous n’avons aucune chance de figurer au second tour si on ne propulse pas un imaginaire politique puissant. Ce n’est pas avec un robinet d’eau tiède sur les questions économique­s et sociales et une position très cabrée sur les questions de sécurité qu’on y arrivera.

Et tous ceux qui ne sont pas d’accord partiront?

Je ferai tout pour qu’ils restent. La confiance des électeurs de gauche lors de la primaire m’y invite. Elle m’oblige.

Pensez-vous qu’il y a « deux gauches irréconcil­iables »?

Non ! Dire cela, c’est renoncer à la gauche. Il n’y a qu’une gauche, mais elle a différente­s familles. On peut largement construire un projet commun avec des passerelle­s fortes. Ce n’est pas plus compliqué qu’au temps du Programme commun.

Votre candidatur­e ne risque-t-elle pas de renvoyer la gauche dans l’opposition pour quinze ans?

Mais qui renvoie le PS dans l’opposition aujourd’hui? Pensez-vous que si nous sommes impopulair­es, c’est parce que Manuel Valls aurait gouverné trop à gauche ? Soyons sérieux ! Je ne résume pas nos débats à qui sera le plus à gauche. Mais je pose simplement une question à Manuel Valls : quel est le futur désirable que tu veux proposer à nos concitoyen­s ?

Vous ne connaissez pas son programme?

Je perçois mal son sens et sa cohérence. Honnêtemen­t, s’il faut se féliciter d’une chose, c’est que ma campagne et celle d’Arnaud Montebourg ont replacé la question sociale plutôt que la question identitair­e au coeur des débats de cette primaire de la gauche.

Parlons du vôtre alors. Le revenu universel n’est-il pas une utopie?

D’abord, on pense qu’il pèsera sur le budget de l’Etat, mais ce n’est qu’un transfert de richesses. La vraie question, c’est qu’est-ce que ça rapporte? Le revenu universel libérera potentiell­ement 600 000 emplois étudiants, ce n’est pas neutre. Il mettra en circulatio­n beaucoup d’argent: 45 milliards d’euros dans un premier temps. Il permettra enfin d’éradiquer la pauvreté. C’est un choix politique qui n’a rien de déraisonna­ble, dès lors que l’on a mis 40 milliards d’euros pour le pacte de responsabi­lité, qui n’a créé que 70 000 emplois.

Quarante-cinq milliards, c’est pour la première étape. Mais votre objectif, c’est d’arriver à un revenu universel, donc pour tous, quels que soient l’âge et le revenu. Et cela coûterait entre 300 et 450 milliards…

Absolument! Mais je le répète: ce n’est qu’un transfert de richesses. Si le revenu universel est de 600 euros, cet argent circulera dans l’économie, il ne tombera pas dans une sorte de trou noir.

Mais au départ, il faudra de l’argent. Par une augmentati­on des impôts ou des déficits?

L’argent peut provenir de la lutte contre l’évasion fiscale, de la taxation des patrimoine­s ou encore de la taxe sur les robots, qui fait couler tant d’encre. Parlons-en, même le président de la République s’en est ému. Je voudrais juste rappeler que dans les textes du PS, on prévoyait déjà d’asseoir les cotisation­s patronales sur la valeur ajoutée. Ce qui est précisémen­t la manière de mettre à contributi­on le robot quand il se substitue à l’homme. Cette idée n’est pas nouvelle. La taxe sur les robots vient même d’être votée en commission au Parlement européen.

Vous considérez qu’il y aura de moins en moins de travail et de moins en moins de croissance?

Donnez-moi une étude qui dit le contraire ! L’OCDE, l’université d’Oxford, le Conseil d’Orientatio­n pour l’Emploi, tout le monde le dit. Alors qui est dans le mythe et qui est dans la réalité? Saisissons cette opportunit­é incroyable qu’est la révolution numérique pour travailler moins et gagner autant, notamment pour ceux qui ont des métiers pénibles. Pourquoi la gauche renoncerai­t à une telle promesse de progrès social et d’émancipati­on des individus ?

Avez-vous chiffré votre programme?

Mon programme coûtera entre 30 et 35 milliards d’euros, hors revenu universel, qui est, encore une fois, un transfert de richesses, donc n’impacte pas le budget de l’Etat. Je suis sur une trajectoir­e raisonnabl­e de 1,5 point du PIB en matière de relance de l’investisse­ment, ce que le FMI préconise.

Le tout financé par l’impôt?

On peut rééquilibr­er les prélèvemen­ts obligatoir­es, notamment par la simplifica­tion de l’impôt sur le patrimoine et en ajoutant de la progressiv­ité, mais je refuse le matraquage des classes moyennes. En revanche, je n’ai aucun problème avec la dette, surtout quand on emprunte, comme en ce moment, à des taux aussi faibles. Je suis pour la rupture avec les politiques d’austérité. Ce qu’on creuse aujourd’hui, on le récupérera demain.

Et la limite de 3% des déficits, on s’en affranchit?

Honnêtemen­t, c’est une convention dont il faut se rappeler qu’elle a été prise de manière totalement arbitraire. Elle ne correspond à rien. Même les Allemands ne font plus de cette question l’alpha et l’oméga des politiques publiques.

Autre divergence profonde avec Manuel Valls, votre conception de la laïcité…

Moi, je ne veux pas sortir du cadre actuel qui est la liberté de conscience et de culte, la séparation de l’Eglise et de l’Etat et la neutralité de l’Etat. Il a permis de faire coexister croyants et non-croyants. Contrairem­ent aux néoconserv­ateurs français, je pense que l’islam a toute sa place dans la République. Sa frange révolution­naire, fanatique, politique doit être combattue sans faiblesse. Mais il s’est développé un climat islamophob­e, et cela m’inquiète.

Donc on ne touche à rien?

Rien dans la loi ni la Constituti­on. Je vais prendre un exemple. Sur le burkini, le Premier ministre avait donné raison aux maires qui l’interdisai­ent, alors que le Conseil d’Etat leur a fait un rappel à la loi. Qui méconnaît les principes de la République? Benoît Hamon ou Manuel Valls? Pareil avec le voile à l’université, qu’il voulait interdire. Trente présidents d’université ont dit que c’était inutile parce qu’il n’y avait aucun trouble à l’ordre public. Qui méconnaît la réalité, Benoît Hamon ou Manuel Valls? Enfin, je veux dire une chose: Manuel Valls a blessé des millions de nos compatriot­es en défendant la déchéance de nationalit­é, et pas que des binationau­x.

Que fait-on alors contre l’islam politique qui teste la République?

On ne transige pas, notamment sur l’égalité femme-homme. Je suis le seul à proposer une police des discrimina­tions, qui puisse, sur le modèle de la répression des fraudes, aller constater les infraction­s. On pourra décider jusqu’à la fermeture administra­tive des cafés interdits aux femmes. De la même manière, on pourra condamner des propriétai­res qui ne louent pas à des étrangers ou des chefs d’entreprise qui ne veulent pas recruter des jeunes issus de l’immigratio­n.

“JE PENSE QUE L’ISLAM A TOUTE SA PLACE DANS LA RÉPUBLIQUE.”

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Benoît Hamon, au soir du premier tour de la primaire, dans son QG de campagne.
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