LA RÉVOLUTION DE LA PROCRÉATION
PMA, GPA, sélection génétique…
Imaginez un monde où la grossesse sera devenue obsolète. Un monde où des incubateurs permettront la gestation complète d’un embryon, de la fécondation à la naissance. Où les parents pourront concevoir leurs futurs enfants sur mesure, en se procurant les meilleurs ingrédients nécessaires à leur fabrication. Plus de problèmes de fertilité, plus besoin de mères porteuses, pas de bébés « défectueux »… Un délire d’auteur de science-fiction? Pas forcément... […]
Greffes d’utérus, diagnostics préimplantatoires, tests génétiques de plus en plus poussés… Jusqu’où ira la médicalisation de la procréation ? […] L’horloge biologique est déjà en passe d’être suspendue. […] Les techniques de vitrification des ovules se sont considérablement améliorées, donnant aux oeufs ainsi conservés un potentiel reproductif identique voire supérieur à celui d’ovocytes frais. Dans un avenir proche, congeler ses oeufs à 20ans, au moment où ils sont à leur maximum de fertilité, en prévision d’une grossesse future, sera peut-être un acte banal, recommandé même par les médecins […] En France, cette option est encore réservée aux jeunes femmes qui doivent subir un traitement mettant leur fertilité en péril. Mais, aux Etats-Unis, des sociétés comme Facebook, Microsoft ou Apple la proposent déjà à leurs salariées […]. (Voir reportage p. 45.)
EN ATTENDANT L’UTÉRUS ARTIFICIEL
La parentalité est de moins en moins biologique. D’ici à vingt-cinq ans, prévoient certains experts, elle pourrait même être totalement déconnectée de la sexualité! D’ici là, il n’y aura peut-être même plus besoin d’un homme et d’une femme pour créer un enfant: en décembre 2014, une équipe de chercheurs britanniques et israéliens a réussi à créer des cellules pré-reproductives mâles et femelles à partir de cellules de la peau. Si cette technologie, encore au stade expérimental chez des souris, portait ses fruits, elle rendrait les dons de sperme et d’ovocytes inutiles, un tournant sans précédent dans la lutte contre l’infertilité. […] En vingt ans, les progrès conjugués de la néonatalogie, de la génétique et de la procréation médicalement assistée ont totalement bouleversé les lois de la reproduction. […] La barrière placentaire n’est plus une muraille de Chine infranchissable. Les chirurgiens sont désormais en mesure d’opérer des foetus in utero. La période indispensable à la survie d’un embryon dans le ventre de sa mère ne cesse de se réduire. […] D’un côté, on sait maintenant créer et faire grandir des embryons in vitro durant deux semaines. […] De l’autre, des couveuses sont capables de prendre en charge des prématurés pesant moins de 500 grammes… Ne reste plus qu’à mettre au point la machine qui permettra de faire le lien entre les deux. […] Certes, on n’en est pas encore là. La cuve qui permettra de faire croître un embryon de la conception à la naissance ne sera pas au point, selon les experts, avant une bonne cinquantaine d’années, voire un siècle. Les fonctions d’un placenta et les échanges mères-enfants sont terriblement complexes, bien plus difficiles à imiter que les chercheurs ne le pensaient initialement. Mais, en attendant, la greffe d’utérus, interdite en France, est déjà une option possible dans de nombreux pays. En 2013, une équipe médicale de Göteborg, en Suède, a ainsi permis à une patiente de donner naissance à un enfant, le premier bébé né grâce à un utérus implanté. […] En 2015, une autre Suédoise a donné naissance a un petit garçon grâce à la transplantation de l’appareil reproductif de sa propre mère. Son fils est né dans la matrice ou elle-même s’était développée. Vertigineuse mise en abyme! […] Les complications et les rejets freinent la généralisation de ces greffes. Elles ne permettront pas de remplacer les mères porteuses avant plusieurs années. Mais pour des milliers de femmes, l’espoir est immense. […]
LE DPI, LA TECHNOLOGIE DE TOUS LES ESPOIRS
Il y a quarante ans, il n’y avait qu’une manière de fabriquer un enfant: un homme avait des relations sexuelles avec une femme, un spermatozoïde rencontrait un ovule, quelquefois l’oeuf se développait en embryon, avant de donner lieu, au bout de neuf
mois, si tout se passait bien, a un bébé. La femme enceinte était la mère. Point. Avec la banalisation des FIV, le recours aux mères porteuses, l’augmentation des dons d’ovocytes, de sperme, d’embryons, la maternité est devenue un Meccano de plusieurs pièces que l’on peut dissocier et assembler comme on veut. […] L’enfant aussi a changé. Hier, les parents n’avaient pas le choix. Le bébé était là, plus ou moins bien doté, avec son capital génétique et ses imperfections. […] Avec le premier diagnostic préimplantatoire (DPI) en 1990, la conception s’est résolument dégagée des contingences du hasard. Cet examen pratiqué in vitro, avant l’implantation dans l’utérus, permet de détecter un nombre croissant d’anomalies génétiques. Il permet à la fois de sélectionner au milieu d’une colonie d’embryons ceux qui s’accrocheront le mieux, et d’éliminer ceux qui sont porteurs d’altérations telles que la trisomie 18 ou 21. […] Grâce au séquençage ADN, il permet également de détecter un nombre croissant de maladies génétiques : hémophilie, amyotrophie, dystrophie musculaire, mucoviscidose… […] Pour les parents d’enfants malades, c’est la technologie de tous les espoirs. La possibilité non seulement d’avoir un bébé en bonne santé, mais aussi de concevoir des « enfants médicaments » […] susceptibles de fournir de la moelle osseuse, ou des cellules souches a un membre de la fratrie malade d’une leucémie, par exemple. Cette révolution soulève des questions éthiques. Autorisé au compte-gouttes en France depuis 1994, le DPI est très sévèrement encadré. Réservé aux parents ayant des antécédents de maladies génétiques mortelles ou aux femmes ayant subi des fausses couches à répétition, il fait l’objet de réunions pluridisciplinaires. Il faut un facteur de risque majeur, vital, et suscep- tible de toucher l’enfant dans les toutes premières années de sa vie.
UN ENFANT SANS “DÉFAUT”
Ce diagnostic préimplantatoire […] divise les chercheurs. Le Pr Frydman, père du bébééprouvette, en est un fervent avocat (voir interviewp.38).[…]Aucontraire,lePrTestart, qui lutte depuis des années contre la surmédicalisation de la procréation, est contre la généralisation de ces pratiques qui conduisent selon lui a l’eugénisme. […]
Aux Etats-Unis, le dépistage est systématiquement proposé en option aux parents en cas de FIV, avec la promesse de limiter le risque de fausses couches. Pour l’instant, 3% seulement des enfants sont conçus via des techniques de procréation médicalement assistée. Mais qu’en sera-t-il à l’avenir ? Quel parent prendra le risque d’avoir un enfant « imparfait », déficient, ou tout simplement différent dans un monde globalisé de plus en plus compétitif? « Personne », tranche Laurent Alexandre, à la tête de la société spécialisée DNAVision. Selon ce spécialiste du décodage du génome […], il en ira du décodage du génome comme du téléphone portable. « Il y a vingt ans, on pensait que le second serait accessible aux seuls PDG. Aujourd’hui, le plus pauvre des paysans au fond de la brousse en possède un. » Ce sera la même chose, selon lui, avec le séquençage ADN: « Comme pour le smartphone, le prix du séquençage baisse en même temps que ses capacités augmentent: sur trois milliards de combinaisons génétiques possibles, trois millions étaient identifiés en 2008… On en était à cent millions en 2016! » Résultat: « On va passer du refus du pire a la volonté d’avoir le meilleur. » La voie qui conduit a l’amélioration de l’espèce humaine porte déjà un nom: CRISPR-Cas9. Une nouvelle technologie qui permet de découper une séquence ADN et d’en modifier les chaînons défectueux.
“LA MATERNITÉ EST DEVENUE UN MECCANO DE PLUSIEURS PIÈCES QUE L’ON PEUT DISSOCIER ET ASSEMBLER COMME ON VEUT.”
Pour l’instant interdite en France, mais pas en Chine ni aux Etats-Unis, cette espèce de coup de ciseau dans l’ADN permettrait un jour d’éliminer des prédispositions au cancer, à Alzheimer, Parkinson… […]
VERS LA SÉLECTION DU QI?
Forcément, dans la foulée, la course au super QI a déjà commencé: « Aujourd’hui, en dépistant sur l’embryon la trisomie 21, on est capable d’éliminer les enfants avec un QI de 70. Si vous avez le choix, accepterez-vous demain d’avoir un enfant avec un QI potentiellement inférieur à 130 si la norme est à 200 ? », interroge Laurent Alexandre. Et ceux qui pensent que l’essentiel, c’est que son rejeton soit bien dans sa peau et heureux ont tout faux: « Demain, les robots entreront en concurrence directe avec les hommes. Seuls les êtres humains dotés d’un QI supérieur auront un rôle à jouer dans la société. Les autres ne serviront à rien. » Brrr!
Dans « Bienvenue à Gattaca », le film d’anticipation d’Andrew Niccol sorti en 1997, les gamètes des parents sont sélectionnés afin de concevoir in vitro les enfants ayant le moins de défauts et le plus de talents possible. Les entreprises font effectuer des tests ADN pour les recruter. Ils constituent une élite, avec les meilleurs jobs, la plus belle vie. Les autres, ceux dont la conception relève du hasard, sont des espèces de sous-hommes, condamnés aux travaux les plus pénibles… Or Laurent Alexandre en est convaincu : cette sélection est inéluctable. « Il en va de la survie de l’humanité. Aujourd’hui battu au jeu de go, l’homme sera demain écrasé par les robots s’il ne les domine pas.»
Certes, le gène du QI n’a toujours pas été identifié. Mais le Chinois Zhao Bowen, un jeune prodige né en 1992, directeur du laboratoire de génomique cognitive du Beijing Genomics Institute (BGI) installé à Shenzhen, y travaille. […] Sur ses puissantes machines de séquençage, il a commencé à scanner environ 2 200 précieux échantillons d’ADN provenant de personnes au quotient intellectuel exceptionnel. […] Il va les comparer au génome de plusieurs milliers de personnes choisies au hasard dans la population. Ainsi le chercheur espère percer le secret de l’intelligence. Au moins mettre au point, pour commencer, un test génétique afin de prévoir la capacité cognitive d’un bébé. Cette fois vous êtes arrivés: bienvenue à Gattaca.
© Stock (*) Ed. Stock, 200 pages, à paraître le 1er février 2017. Les intertitres sont de la rédaction.