Johann Chapoutot Aux racines de l’idéologie nazie
L’historien Johann Chapoutot publie “la Révolution culturelle nazie”. Approfondissant son analyse des liens entre le national-socialisme et l’Antiquité, il décrypte la manipulation totalitaire à l’origine du projet hitlérien
Comment peut-on définir la révolution culturelle nazie?
Les nazis avaient un projet de refonte de la civilisation, ce qu’ils appellent la Kultur, qui se différencie du mot français « culture ». Pour eux, il faut opérer une « révolution » dans le sens de « retour à l’origine », et non dans celui que nous lui donnons, issu de la Révolution française, ce moment historique que les nazis combattent absolument. La révolution nazie est une révolution au sens prérévolutionnaire du terme. Ce n’est pas une ouverture vers un progrès, ou vers un avenir moderne, mais la volonté de se réenraciner dans un passé où coïncidaient culture et nature.
Quelle est pour eux cette origine admirée?
L’origine germanique. Une origine certes fantasmatique, mais qui a une réalité aux yeux des acteurs. La germanité, selon les nazis, c’est le moment de la liberté, de l’absence de négation. L’homme germanique antique n’était pas dénaturé par le judéo-christianisme. Pour les nazis, l’évangélisation chrétienne a imposé les principes juifs à la race germanique. Les contraintes de la monogamie, de l’interdiction de la violence, de la proscription du meurtre n’existaient pas auparavant. L’homme germanique est défini comme un homme libre, sans contraintes et sans normes, avec un rapport immédiat à l’Autre. Le rapport avec la nature est direct, lui aussi : les Germains vivaient nus dans la forêt originelle. Absence de médiation entre soi et le divin, aussi : pas de clergé, accès direct à Dieu, à travers l’arbre ou la source. La référence historique, ce sont les Germains de Tacite, les Grecs de Sparte et les Romains des origines.
Qui se charge de mettre au point ce méli-mélo idéologique?
Ces idées originales sont déjà très présentes dans l’opinion depuis le xixe siècle. A partir de 1919, des centaines de philosophes, d’historiens, de professeurs, d’intellectuels leur donnent corps. Parmi eux, Alfred Rosenberg, l’un des compagnons de route de Hitler, qui a mis en place le corpus idéologique, et qui sera exécuté à l’issue du procès de Nuremberg. Allemand de la Baltique, ingénieur, il a publié « le Mythe du xxe siècle », une histoire raciste et antisémite de l’humanité. Mais il ne fait que concentrer des idées largement répandues. Il les précipite, au sens chimique.
Pourquoi les nazis détestent-ils autant la Révolution française?
C’est la grande ennemie. Ils haïssent aussi la Commune (1871), et la révolution d’Octobre (1917). Ce sont à leurs yeux des révoltes de la lie de l’humanité contre l’élite. Le cloaque racial gallo-romain s’est soulevé en 1789 contre le sang bleu des nobles germaniques. On parle même du « judéo-sarde » Marat, assassiné par la blonde Charlotte Corday, représentante de cette élite raciale. L’humanisme de la Révolution française est une idée néfaste, tout comme l’universalisme ou la justice sociale. La plèbe cherche à imposer l’idée d’égalité, aberrante du point de vue des nazis. Ceux-ci, en 1933, cherchent à imposer une « révolution nationale » qui doit faire table rase de toutes ces « absurdités ». Ce n’est pas Vichy qui a inventé l’expression, Goebbels l’utilise déjà au début des années 1930. En plus, la Révolution française a été un complot judéo-maçonnique, donc judéo-bolchevique.
Y a-t-il des résurgences de cette révolution culturelle aujourd’hui?
L’idée selon laquelle il faut rompre avec l’universalisme, redevenir particulariste, avoir un être non partageable, oui, survit avec force. Dans cette mesure, il y a un parallèle à faire aujourd’hui avec les années 1930.
JOHANN CHAPOUTOT, professeur à la Sorbonne, est l’auteur du « National-socialisme et l’Antiquité » (PUF, 2008) et de « la Loi du sang. Penser et agir en nazi » (Gallimard, 2014). Il publie chez le même éditeur « la Révolution culturelle nazie ».