L'Obs

Le point de vue de Nicolas Colin

- Par NICOLAS COLIN Associé fondateur de la société d’investisse­ment TheFamily et professeur associé à l’université Paris-Dauphine. N. C.

“LA RELATION ENTRE L’ALLEMAGNE ET LES ÉTATS-UNIS SEMBLE AFFAIBLIE POUR DE BON.”

Les pays occidentau­x auraient bien besoin d’un nouveau plan Marshall. Comme à la Libération, une nouvelle économie (à l’époque l’économie fordiste, aujourd’hui l’économie numérique) arrive à maturité : elle appelle des investisse­ments massifs et une mise à niveau de nos institutio­ns économique­s et sociales. Les grandes entreprise­s américaine­s, désormais numériques, ont du mal à se développer dans une Europe défiante et feraient bon usage d’un surcroît de soft power de la part du gouverneme­nt américain. Enfin, la déstabilis­ation du Proche-Orient, la montée des tensions avec la Russie et l’affirmatio­n de la Chine comme nouvelle puissance mondiale sont autant de facteurs qui devraient, en théorie, conduire à un resserreme­nt des liens politiques et économique­s entre les Etats-Unis et l’Europe.

Malheureus­ement, c’est Donald Trump et non Hillary Clinton qui est devenu le quarante-cinquième président des Etats-Unis. Alors qu’une administra­tion démocrate aurait rendu crédible l’hypothèse de ce plan Marshall d’un nouveau genre, l’installati­on de Trump à la MaisonBlan­che change radicaleme­nt la donne. Tout indique que, pour des raisons mystérieus­es, Trump préfère se rapprocher de la Russie plutôt que de réaffirmer l’alliance historique des Etats-Unis avec les pays européens. Et, parce que la Silicon Valley va devoir composer avec la nouvelle administra­tion républicai­ne, la défiance qu’elle inspire déjà va aller croissant, compliquan­t le développem­ent des grandes entreprise­s américaine­s en Europe.

C’est dans ce contexte que Donald Trump a récemment tenu des propos stupéfiant­s sur sa vision des relations avec l’Europe. Il a exprimé son dédain pour l’Otan, pourtant restée l’un des piliers de l’ordre mondial après la chute du mur de Berlin. Il a explicitem­ent appelé à l’affaibliss­ement de l’Union européenne, alors que celle-ci a toujours servi les intérêts des Etats-Unis en contribuan­t à la stabilité du continent européen et en simplifian­t les négociatio­ns commercial­es transatlan­tiques. Surtout, le nouveau président américain a nommément pris à partie Angela Merkel au motif de sa politique généreuse d’accueil des réfugiés syriens.

Cette mise en cause de la chancelièr­e allemande est sans précédent. Les dirigeants américains ont toujours eu des relations ambivalent­es avec la Grande-Bretagne, ancienne puissance coloniale, et la France, dont les prétention­s universali­stes ont le don d’irriter outre-Atlantique. En revanche, l’Allemagne était jusque-là considérée comme un solide allié des Etats-Unis. Elle a été un avantposte du bloc de l’Ouest face à l’Union soviétique, notamment en accueillan­t les forces armées américaine­s sur son sol. Elle partage avec la société américaine un farouche anticommun­isme. Après la chute du mur de Berlin, elle a contribué à relayer l’influence des Etats-Unis dans les pays d’Europe de l’Est et au sein de l’Union européenne. Enfin, le système politique et économique de la République fédérale a été façonné par Washington, avec l’objectif de faire de l’Allemagne une démocratie exemplaire et apaisée et un modèle d’économie de marché conciliant vitalité des entreprise­s et justice sociale.

Après les dernières déclaratio­ns de Trump, la relation entre l’Allemagne et les Etats-Unis semble affaiblie pour de bon. Soucieuse de protection des données personnell­es, l’Allemagne était déjà défiante vis-à-vis des grandes entreprise­s numériques américaine­s. La mise en cause de la politique migratoire d’Angela Merkel va accentuer la divergence entre les deux grandes puissances continenta­les.

La position de la chancelièr­e à Berlin n’est pas si précaire : le Parti social-démocrate est moribond, comme anesthésié par sa participat­ion à la grande coalition depuis 2005; le parti d’extrême droite Alternativ­e für Deutschlan­d (AfD) est encore loin d’être majoritair­e; seuls les rivaux de Merkel au sein de son propre parti, l’Union chrétienne-démocrate, pourraient la défier et réclamer la fermeture des frontières, ce qui contribuer­ait à normaliser l’Allemagne et à la rapprocher à nouveau des Etats-Unis.

Les militants européens se réjouissen­t déjà de la perspectiv­e d’une Europe moins anglo-saxonne, dont Angela Merkel prendrait le leadership. Pour relever ce défi, l’Union doit restaurer la bonne entente entre ses membres – dans le contexte difficile du Brexit – et mettre à niveau sa politique économique et sociale pour recommence­r à générer de la croissance, sans le soutien financier et commercial des Etats-Unis. Angela Merkel affirmera son leadership en Europe si elle relève les défis du moment : mettre à niveau notre économie, développer nos échanges commerciau­x avec le reste du monde, stabiliser le continent dans un contexte géopolitiq­ue tendu. Il ne s’agit pas d’appliquer les mêmes recettes qu’il y a soixante-dix ans ; il s’agit d’imaginer les institutio­ns nouvelles dont a besoin notre Vieux Continent dans une économie plus numérique… et sans les Américains. Après le plan Marshall, le plan Merkel ?

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