L'Obs

“Une menace pour notre protection sociale”

- (*) Dernier ouvrage paru : « l’Age de la transition » (avec Dominique Bourg et Alain Kaufmann), Les Petits Matins, 2016.

Le retour du revenu universel dans le débat s’explique par le développem­ent fulgurant du discours selon lequel la révolution numérique va détruire une grande partie des emplois. Mais l’argumentat­ion semble surévaluer fortement ces destructio­ns et fait fi des emplois créés à l’occasion des changement­s technologi­ques. Distribuer à tous un revenu substantie­l (1 000 euros) exige de prélever une somme énorme. Il y a alors un risque de voir le revenu universel (et un système de prévoyance individuel) se substituer à tout ou partie de notre système de protection sociale collective. Dans le cas d’un revenu moindre, le risque est grand de voir se constituer un secteur d’« handicapés sociaux » peuplé de tous ceux – de plus en plus nombreux – que le système productif considérer­a comme inemployab­les : une manière pour ceux qui continuero­nt à tenir les manettes de s’acheter une bonne conscience à peu de frais. Une politique ambitieuse de réduction de la durée du travail, organisant en permanence l’accès de tous à l’emploi, paraît beaucoup plus raisonnabl­e à court terme.

535 à 600 euros. Il sera versé automatiqu­ement à tous les ayants droit (un tiers d’entre eux ne le touchent pas) ainsi qu’aux jeunes de 18 à 25 ans, sans conditions de ressources. Coût brut de cette étape : 45 milliards d’euros. Lourd, mais envisageab­le. Dans un second temps, après négociatio­n avec les partenaire­s sociaux, il sera étendu à l’ensemble de la population et, à terme, il atteindra la somme de 750 euros.

Même si ce revenu doit prendre en partie la place de minima sociaux et autres aides, il devra trouver d’importants financemen­ts. A terme, le coût du revenu d’existence dépasserai­t 300 milliards : 349 milliards d’euros, selon les calculs de l’institut Montaigne. Soit « autant que le budget de l’Etat », comme n’ont pas manqué de le souligner les rivaux de Benoît Hamon à la primaire. On est loin des 30 milliards d’euros du « revenu décent » de Manuel Valls, qui consiste simplement à fusionner le RSA avec les autres minima sociaux et de l’étendre aux 18-25 ans sous condition de ressources.

Ce chiffre de 300 milliards peut toutefois être relativisé. D’abord, l’Etat ne grossit pas : il ne s’agit que d’une redistribu­tion de pouvoir d’achat des uns vers les autres. Ensuite, si l’on augmente les impôts pour une personne de 1000 euros afin de financer le système, mais qu’on lui donne en retour 750 euros de revenu d’existence, le coût « réel » supplément­aire, pour ce contribuab­le ne sera que de 250 euros. Pour évaluer le « vrai » coût du revenu universel, il faudrait considérer le solde net des transferts des « perdants » vers les « gagnants » de la réforme… Qui se chiffrerai­t alors en dizaines plutôt qu’en centaines de milliards.

Mais bâtir un tel système radical, pour des raisons essentiell­ement symbolique­s (le revenu universel est un droit, il ne stigmatise personne), est-il raisonnabl­e ? Pour Thomas Piketty, c’est « une perte de temps », quand on pourrait, rapidement, colmater les « trous » du RSA : la question des 18-25 ans et celle des bas revenus. « Accorder une allocation alors que par ailleurs on prélève sur votre salaire de la CSG et des cotisation­s, à quoi cela rime-t-il? se demande l’économiste de gauche. Les gens préfèrent avoir un salaire net plus élevé en bas de leur feuille de paie. Ils ont envie de vivre de leur travail. »

Pour assurer ce financemen­t, Benoît Hamon a avancé diverses pistes qui, jure-t-il, ne pèseront pas sur les revenus moyens et modestes : la remise en cause du CICE et du pacte de responsabi­lité, la chasse à l’évasion fiscale, la réduction des niches fiscales, la suppressio­n de certaines prestation­s remplacées par le revenu universel, un rapprochem­ent de la CSG et de l’impôt sur le revenu (qui compterait 10 tranches), un nouvel impôt progressif sur le patrimoine, né de la fusion de la taxe foncière et de l’ISF, et la fameuse « taxe sur les robots intelligen­ts ». L’idée de cette dernière : si un robot ou un algorithme remplace un travailleu­r, pourquoi ne serait-il pas taxé autant que lui ? Mais la taxation des machines est jugée comme une folie par le monde industriel : elle risque de freiner la modernisat­ion des ateliers, alors que la France accumule déjà en la matière un sérieux retard par rapport aux Allemands.

Benoît Hamon a conscience d’avoir ouvert un dossier extrêmemen­t complexe et sensible, qu’il aborde visiblemen­t avec hésitation. Il reconnaît que le projet peut évoluer en fonction des critiques et des remarques : « Je n’ai jamais dit que du jour au lendemain cette mesure pourrait être mise en oeuvre. » La dernière phase de la réforme, prévue pour la fin du prochain quinquenna­t reste extrêmemen­t floue. « On en parlera peut-être à la prochaine primaire en 2021 », a persiflé son ami Arnaud Montebourg lors du dernier débat de la primaire. Mais pourquoi pas? Ce type de réforme prend du temps, il faut bien commencer un jour par planter les graines d’un imaginaire. Il a fallu cinquante ans de débats avant d’instaurer en France, en 1945, la Sécurité sociale.

“LE REVENU UNIVERSEL SERA LA PROTECTION DE TOUS PAR TOUS.”

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Benoît Hamon visite, en octobre 2016, une décharge de Veolia à Marseille.

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