L'Obs

“LE PS PEUT DEVENIR UN TOUT PETIT PARTI”

Spécialist­e de la gauche, Gérard Grunberg est directeur de recherche émérite au Centre d’Etudes européenne­s de Sciences-Po. Interview

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Pour expliquer son succès, Benoît Hamon cite Sanders aux Etats-Unis, Corbyn à la tête du Parti travaillis­te en Grande-Bretagne, ou Podemos en Espagne… Qu’ont-ils en commun?

Ce qui est commun, c’est le refus des solutions sociales-libérales, la remise en question de la répartitio­n actuelle des richesses et une vision de la démocratie moins clairement représenta­tive, plus directe et participat­ive, avec par exemple le « 49.3 citoyen » de Benoît Hamon. Il y a aussi une commune mise en cause des élites politiques. Qu’ils viennent de l’intérieur de la socialdémo­cratie ou de l’extérieur, tels Podemos ou la France insoumise, tous ces courants sont à la fois la cause et la conséquenc­e de la très grave crise de la social-démocratie.

Comment l’expliquer?

J’y vois trois raisons. Avec la crise financière de 2008, la question du rapport au capitalism­e s’est reposée dans les partis de gauche. La question aussi de la capacité du modèle social-démocrate à rester fortement redistribu­tif, et à continuer d’offrir le progrès social comme horizon. De plus, une grande partie des électorats jadis largement orientés à gauche sont aujourd’hui attirés par des partis populistes de droite.

La social-démocratie est-elle en train de disparaîtr­e?

Il n’y a aucun grand pays européen où la gauche soit en capacité aujourd’hui d’exercer le pouvoir en position dominante. La crise est donc grave, car depuis la guerre la social-démocratie n’avait de sens qu’en s’incarnant dans des partis de gouverneme­nt. Ces partis arrivaient à faire coexister en leur sein l’idéologie antilibéra­le et l’attachemen­t à la vocation gouverneme­ntale, et donc l’acceptatio­n de compromis avec le libéralism­e économique. Tout cela a largement disparu.

Les primaires accélèrent-elles ce processus en France?

Pas nécessaire­ment. Mais si les grandes questions n’ont pas été résolues en amont, dans les congrès par exemple, pour permettre au parti de conserver une certaine unité, la primaire peut se révéler désastreus­e. Cela risque d’être le cas aujourd’hui, car la contradict­ion consubstan­tielle à la social-démocratie entre l’idéologie antilibéra­le et la vocation gouverneme­ntale apparaît publiqueme­nt au moment de choisir le candidat à la présidence de la République.

Que vont devenir ces partis sociaux-démocrates? Le PS peut-il exploser?

Ces partis existent encore mais doivent choisir : est-ce qu’ils redevienne­nt des partis d’opposition sur une longue période ou est-ce qu’ils se coupent en deux, les ailes droites cherchant des alliances à droite ? Dans les deux cas, ils perdent leur position centrale. Le destin du PS va se jouer dans les six mois : comment Hamon, s’il gagne, va-t-il résister face à Mélenchon ? Que vont faire les partisans de Valls? Macron va-t-il recomposer le système politique ? Le risque pour le PS est de redevenir un petit parti. A l’image du PSU ou de la SFIO des années 1960.

Podemos, Corbyn, Sanders… Les alternativ­es qui émergent à gauche ne parviennen­t pas à conquérir le pouvoir, pourquoi?

Ils ont un problème de base électorale. Ces mouvements se veulent populaires mais ce sont le plus souvent les partis populistes de droite ou d’extrême droite qui ont conquis une partie de l’électorat populaire. En outre, comme on le voit en France et en Espagne, ces partis cherchent davantage à détruire les partis socialiste­s qu’à s’allier avec eux. Ils sont donc isolés. Il n’y a pas de leur part de volonté de nouer des alliances. Ils ont en outre un problème de crédibilit­é gouverneme­ntale : leurs leaders portent une telle critique de l’économie libérale que les gens se demandent s’ils seront capables de gouverner. Je ne suis pas sûr d’ailleurs qu’ils ne se sentent pas plus à l’aise dans l’opposition. Cela dit, Corbyn, par exemple, appartient au Labour Party et n’est donc pas dans la position de partis, tels Podemos, dont le but est la destructio­n pure et simple de la social-démocratie.

“LE DESTIN DU PARTI SOCIALISTE VA SE JOUER DANS LES SIX MOIS”

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