DESSINE-MOI LA SHOAH
Bien sûr il y a, sur les camps de la mort, le « Maus » d’Art Spiegelman, prix Pulitzer 1992, oeuvre majeure du 9e art. Or ce n’est pas le premier album à le faire, comme le révèle l’étonnante exposition « Shoah et bande dessinée ». En réalité, l’Holocauste a été représenté en cases bien avant que le mot « Shoah » n’existe, et même avant la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans « La bête est morte » (1944, ci-dessus), des Français Calvo et Dancette, un « illustré pour la jeunesse » comme on disait alors, est dessiné le premier camp. Certes, l’ouvrage destiné aux enfants s’attarde plus sur la défaite des loups nazis que sur l’extermination des juifs. Mais « l’anéantissement total de ces foules inoffensives » est dûment mentionné. « Pourtant, explique Didier Pasamonik, conseiller scientifique de cette expo, dans les années de la Libération, l’Occident n’a plus tellement envie d’entendre les récits des camps de concentration. Il faudra des décennies pour rompre ce silence. » En 1955, « Master Race », un magnifique récit de Bernie Krigstein et Al Feldstein, dont c’est le sujet, est passé inaperçu. Même les super-héros américains en collants n’ont jamais sorti quiconque d’Auschwitz ou de Treblinka – trop compliqué pour les scénaristes… Après les années 1970 et 1980, période de libération de la parole sur ce sujet, l’Holocauste a fini « par devenir un sujet de fiction presque comme un autre », souligne Didier Pasamonik. Au point d’en rire sans tabou comme dans « Hitler = SS » (1987) de Gourio et Vuillemin. Une BD insoupçonnable d’antisémitisme, mais dont l’humour est tellement trash qu’elle est interdite d’exposition dans les librairies depuis sa parution il y a trente ans. Non, on ne peut pas vraiment rire de tout.