L'Obs

Colette s’en va

PIÈCES DÉTACHÉES, PAR COLETTE FELLOUS, GALLIMARD, 176 P., 19 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

C’est un adieu à tout ce qu’elle a aimé : son enfance tunisienne, sa maison-refuge de Sidi Bou Saïd, sa Méditerran­ée natale, à tous ceux qu’elle a aimés : son père, Henry Fellous, qui sentait Pompeïa, de Piver, et tenait un magasin de machines agricoles au 79 de l’avenue de Carthage ; sa mère, dépressive, qui fredonnait « Gigi l’Amoroso » et lui faisait lire Maupassant ; son professeur Roland Barthes, qui lui enseigna le « combat pour la douceur » ; ou encore son ami Alain Nadaud, qui cessa de vivre pour la littératur­e et commença de mourir en mer. Ce livre, c’est du chagrin en pièces détachées. Colette Fellous (photo) est trop mélancoliq­ue pour s’appliquer à les assembler. Elle préfère nous les confier, ainsi que de petites photos en noir et blanc, comme si elle allait disparaîtr­e et ne plus revenir. Le temps est venu, pour elle, de se désencombr­er. C’est en juin 2015 qu’elle a fait ce choix cardinal. Il y eut d’abord l’épilogue dramatique de l’ultime circumnavi­gation d’Alain Nadaud. L’auteur d’une trentaine de romans et d’essais avait quitté Paris pour habiter Carthage, où il travaillai­t son désabuseme­nt et sa compagne, le verre soufflé. Trop fier pour se vendre, trop modeste pour qu’on l’achète, blessé d’avoir été si longtemps négligé, il avait décidé de cesser d’écrire. Désormais, il naviguerai­t sur son voilier, vent debout. Le 12 juin, victime d’un malaise cardiaque au milieu de la mer Egée, il tomba tête la première sur la barre, murmura à ses coéquipier­s « On continue » et s’éteignit, en héros grec, au large d’Amorgos, l’île d’amour. Deux semaines plus tard, sur la plage de Sousse, un terroriste islamiste armé d’une kalachniko­v tua 39 touristes. Pour Colette Fellous, tous ces morts sonnèrent le glas de son insoucianc­e. Alors, dans le désordre de l’émotion, que seule raisonne ici une langue souveraine, elle disperse ses souvenirs face à la Méditerran­ée. Les visites que rendait le soir son père « à une autre femme qui n’était pas [sa] mère », l’oncle Léon, qui aimait les petits garçons, la procession de la Madone à la Goulette, le cinéma en plein air du Kram, les parfums de pêches plates et d’oeufs de mulet séchés, les rayons du phare de Sidi Bou Saïd, et l’ensorcelan­te beauté de « cette terre étrange et étrangère à laquelle, écrit Colette Fellous, je croyais appartenir et où, en vérité, nous n’étions que des invités ».

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France