L'Obs

Catherine Arditi, mère courage

“ENSEMBLE”, DE FABIO MARRA. PETIT MONTPARNAS­SE, PARIS-14E, 21 HEURES, 01-43-22-77-74.

- JACQUES NERSON

Handicapé mental, simple d’esprit, attardé, arriéré, demeuré, taré, débile, anormal, crétin des Alpes, gogol, mongolito : plus ou moins injurieux, les mots ne manquent pas pour désigner celui qu’on nommait jadis, sans penser à mal, l’idiot du village. Parce qu’il est sans défense, incapable de méchanceté, on préférera parler d’innocent pour définir Miquélé. Mais un enfant affublé d’un corps d’adulte s’intègre difficilem­ent dans la société. Isabella, sa mère, une veuve dont les fins de mois sont très justes, lui a tout sacrifié. Pas question de le confier à un établissem­ent spécialisé. Sandra, la soeur de Miquélé, a gagné le large, le dévouement de sa mère à son frère l’excluait de la famille. Voici qu’elle rapplique après plusieurs années d’absence, porteuse d’une grande nouvelle : elle va se marier et souhaitera­it que sa mère assiste à la cérémonie. Sa mère mais pas son frère, dont elle a caché l’existence à son fiancé. La pièce que Fabio Marra a écrite et mise en scène n’est pas seulement touchante mais troublante en raison de son ambiguïté. Isabella (Catherine Arditi, photo) ne dispense en effet de tendresse qu’à son fils (Fabio Marra, photo). Encore se montre-t-elle dure envers lui pour son bien. Ainsi quand elle refuse le sac à main qu’il lui a acheté en grattant sur la monnaie des commission­s. De son côté, si Sandra (Sonia Palau, photo) ne devrait pas avoir honte de son frère, il ne lui en a pas moins volé sa mère. Même si c’est involontai­re, Sandra lui en veut de gâcher la vie de cette dernière. Mais n’est-il pas au contraire devenu la seule raison d’être d’Isabella ?

Chacun de nous connaît une famille en difficulté avec un enfant à l’intelligen­ce infirme. Fabio Marra traite le sujet sans mélo ni trémolos. On rit souvent, sans se sentir supérieur aux personnage­s. Surtout pas à Miquélé. Difficile de dépeindre les innocents sans les caricature­r. Fabio Marra y parvient grâce à son tact, comme la comtesse de Ségur dans « la Soeur de Gribouille ». Quant à Catherine Arditi, elle nous ballotte de la sympathie à l’effroi. Ce en quoi elle accomplit le dessein de la pièce : secouer nos certitudes comme on ébranle un arbre pour faire tomber ses fruits. Un sacré talent !

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