L'Obs

CES ENFANTS D’IMMIGRÉS TENTÉS PAR LE FRONT

Ils s’appellent Farid, Guy ou Edel. Ils sont français sans pour autant renier leurs origines. Ils accusent la gauche de les avoir “trahis”, et se disent prêts à voter pour Marine Le Pen. Témoignage­s

- Par DOAN BUI

Quand Farid, 25 ans, retrouve ses potes du quartier, à Roubaix, ils lancent parfois des « Votez Front national ! ». Pour rigoler. Enfin, à moitié. De la bande, Farid sera le seul à aller voter. Le jeune homme a choisi Hollande en 2012, il se souvient encore du regard de ses parents quand s’est affichée la tête de Jean-Marie Le Pen à la télé, en 2002. « Ils avaient peur qu’on les renvoie au bled. Alors que mon père est arrivé à l’âge de 5 ans en France, et a bossé toute sa vie en usine. » Farid, lui, n’a pas peur. En mai 2017, il ira « presque certaineme­nt » glisser dans l’urne un bulletin Marine Le Pen. « Je suis français, je crains rien. Et puis, bon, elle, c’est pas son père. » Il en parle, souvent, à ses potes. « Attention, j’irai jamais distribuer des tracts, hein ! J’ai encore une petite réticence en moi, comme si j’étais coupé en deux. Mais les autres nous ont trop roulés dans la farine. » C’est surtout contre la gauche que Farid « a la haine » : « Parce qu’on est arabes et pauvres on devrait voter à gauche ? On a eu la déchéance de nationalit­é, le burkini, Sarko aurait pas fait mieux ! Valls, à part taper sur les musulmans, il a fait quoi ? » Bref, tant qu’à « avoir des ennemis », Farid se dit qu’autant « essayer celui qu’on n’a jamais essayé ». A Roubaix, comme tant d’autres,

il galère. Il a trouvé un job dans un snack. « Pour nous, ça peut pas être pire. Et puis y a des trucs de son programme avec lesquels je suis d’accord. La préférence nationale, par exemple. C’est normal qu’on aide d’abord les Français avant de s’occuper des étrangers. Moi, je suis français. »

Pas évident d’afficher son vote FN quand on est enfant d’immigré… Après notre rencontre, Farid nous enverra plusieurs SMS nous expliquant qu’il ne souhaite pas apparaître dans l’article. Nous avons donc changé son prénom. Dans sa stratégie de dédiabolis­ation, le FN aimerait pourtant exhiber des électeurs comme Farid, même s’ils sont encore très minoritair­es. Il se complaît à afficher çà et là de nouveaux visages censés incarner un parti plus cosmopolit­e. Comme celui, par exemple, de Yasmine Benzelmat, militante depuis 2011, d’origine marocaine, devenue conseillèr­e régionale, qui a manifesté contre l’ouverture d’un camp de migrants à Louvecienn­es dans les Yvelines où elle dénonçait « la politique immigratio­nniste de l’UMPS ». Ou encore celui de Guy Deballe, ex-militant PS, qui, en 2012, tractait pour Hollande et qui, en 2015, a viré Front national. Certains de ses anciens camarades PS lui reprochent de jouer « le Noir de service » pour Marine Le Pen. « Oui, je suis d’origine centrafric­aine, et alors ? Le racisme, je l’ai vu autant à gauche qu’au FN. Sauf qu’à gauche, ce racisme est plus hypocrite. Il se drape de bonne conscience. Tous ces mouvements comme SOS Racisme ont finalement fait beaucoup de mal, en nous instrument­alisant. » Guy Deballe est devenu le secrétaire du tout nouveau collectif Banlieues patriotes chargé d’aller faire les yeux doux à ces « 1 500 quartiers qui vivent au coeur de la fracture républicai­ne ». Pour sa première émission télé diffusée sur le Net, Banlieues patriotes a invité Camel Bechikh, un proche de l’UOIF (Union des Organisati­ons islamiques de France), « musulman patriote », qui défend les « racines judéo-chrétienne­s » de la France, et milite pour la Manif pour tous. Malgré sa proxi- mité avec le FN – il a participé plusieurs fois à des colloques organisés par ce dernier – Bechikh se défend de voter FN, se définissan­t plutôt comme « souveraini­ste ».

Sollicité par le parti à moult reprises, Edel Hardiess, rappeur, « banlieusar­d patriote qui porte ses couilles », comme il se définit, a décliné. « Je ne veux pas être récupéré. Mais j’assume, je voterai Marine Le Pen en 2017. » Dans ses clips, des drapeaux bleu, blanc, rouge, une femme voilée en tricolore. Farid, notre Roubaisien, est fan : « Je me retrouve à fond dans son discours. » Edel, 28 ans, insiste sur sa « fierté d’être français », tout en assurant ne pas renier ses origines, « le Congo et le Maroc », ni sa religion, l’islam : « Je joue pas au Blanc, moi ! » Alain Soral, l’essayiste d’extrême droite, l’adore. « Ce que dit Soral est intéressan­t mais je ne suis le disciple de personne ! Je ne l’ai pas attendu pour mettre des drapeaux depuis 2008 dans mes clips. J’ai toujours détesté le discours “nique la France” qu’il peut y avoir dans le rap. »

Edel ne se souvient plus trop pour qui il a voté en 2012. « Hollande ? Ah non, Mélenchon. » Cela l’énerverait presque aujourd’hui. « La gauche, ce sont des traîtres. Ils ont longtemps pensé que la banlieue allait les suivre comme des moutons, mais c’est fini. Ils n’ont pas compris que, culturelle­ment, les valeurs de la banlieue étaient de droite. Chez nous, les deux moteurs les plus forts, ce sont l’obsession de faire du fric et la religion. La gauche, elle va contre tout ça. Y a que les bobos parisiens qui sont pour le mariage gay. Pour moi, une famille, c’est un homme et une femme, des enfants. » Il ne comprend pas qu’on puisse encore lui parler de « peur » du FN. « Ce sont les gens qui ont quelque chose à perdre qui ont peur. Nous, on est un peu comme des esclaves qui se prennent des coups de fouet. Avec le contremaît­re qui dit sans cesse : “Attention, sors pas, y a le méchant croquemita­ine.” A un moment, t’en as marre de te faire fouetter. Tu te dis : “Bon, on va voir la tête du croquemita­ine.” » Edel pense qu’avec Marine Le Pen, ça fera « un électrocho­c ». « Et si ça merde avec elle, ça sera la guerre civile. Mais peut-être qu’on a besoin de ça.»

“J’AI TOUJOURS DÉTESTÉ LE DISCOURS ‘NIQUE LA FRANCE’ QU’IL PEUT Y AVOIR DANS LE RAP.” EDEL HARDIESS

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Guy Deballe, ex-militant socialiste passé au FN, secrétaire du collectif Banlieues patriotes.
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Edel Hardiess, 28 ans, rappeur, se dit « banlieusar­d, patriote ».

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