L'Obs

La chronique de Raphaël Glucksmann

- Par RAPHAËL GLUCKSMANN Essayiste, auteur de « Notre France. Dire et aimer ce que nous sommes ». R. G.

Le cadavre bouge encore. En ce sombre début d’année 2017, une trace de vie a même été détectée – ne riez pas ! – rue de Solférino… Je me pince en écrivant ces mots, mais il s’est enfin passé quelque chose de neuf au PS. Tous les commentate­urs avaient annoncé un fiasco monumental de la primaire de ladite « Belle Alliance populaire », un nom dont le ridicule soulignait à lui seul la vacuité des apparatchi­ks et des communican­ts qui l’avaient pondu. C’était acquis, nous disait-on avec un sourire en coin sur tous les plateaux de télé : les vainqueurs de ce scrutin seraient ceux qui le snoberaien­t, de Mélenchon à Macron. Les absents, cette fois-ci, auraient raison.

Or c’est l’inverse qui semble s’être produit. Je ne parle pas de la participat­ion somme toute honorable, mais d’une chose plus surprenant­e : un candidat a émergé, mené campagne et gagné sur une analyse et un projet. En disant « nous » plutôt que « moi, je », en passant de la logique de l’homme providenti­el à celle du projet mobilisate­ur, en jouant sur l’espoir plus que sur la peur, Benoît Hamon a ouvert le champ des possibles à gauche.

Comme toutes les idées neuves, « son » revenu universel suscite les railleries et le mépris des gardiens du « sérieux ». Leur couperet tombe : « Irréaliste ! » Fort bien, mais la volonté de continuer des politiques productivi­stes qui ne marchent plus depuis des décennies est-elle « réaliste » ? Dans une société qui agonise de voir ses jeunes plus pauvres que leurs parents, est-il si « utopique » de commencer par assurer un revenu de base aux 18-25 ans ? Qui est « irénique » ? Ceux qui entendent répéter à l’infini les mêmes politiques en espérant des résultats différents ou celui qui réfléchit à de nouvelles voies pour sortir de l’impasse ?

Le projet doit encore être débattu, affiné, complété. Pour ne pas être taxé d’angélisme, il doit envisager des contrepart­ies aux nouveaux droits. Des devoirs, oui. Toute aide supplément­aire de l’Etat exige un surcroît d’engagement de l’individu au service de la collectivi­té. En échange du revenu de base garanti à tous, chaque jeune Français donnera de son énergie et de son temps à la nation. Au revenu universel doit correspond­re un service civique obligatoir­e. C’est dans cette réciprocit­é universell­e que grandira le sentiment partagé d’appartenan­ce à la chose commune, cette fameuse République dont tous se réclament tout en la laissant choir dans l’individual­isme et le chacun pour soi. Il y a là l’esquisse d’un horizon dans lequel inscrire une action réformatri­ce. Ce qui, en soi, est une petite révolution.

Tout, désormais, peut advenir. La répétition du vieux (l’échec garanti), comme l’invention du neuf (le risque). Soit, cherchant à éviter la fuite des cadres et des élus, Dr. Hamon s’adonne à l’une de ces grandes synthèses dont les socialiste­s ont le secret. Il aura alors peut-être sauvé une partie de la structure (du bois mort). Mais il aura sans aucun doute tué dans l’oeuf le mouvement (la sève). Et il se sera limité à reproduire le vieux stratagème mitterrand­ien : prendre le parti par la gauche avant de le gouverner au milieu. Répétée ad nauseam, pareille tactique a généré tellement de gueules de bois qu’elle a fini par « désespérer Billancour­t » au point de l’offrir sur un plateau à Le Pen.

Soit, au contraire, Mr. Benoît approfondi­t la rupture, creuse la plaie, sort des clous. Il comprend que la politique, au sens noble, se fait aujourd’hui hors de Solférino, fusionne avec les écolos dans un dépassemen­t mutuel de structures partisanes qui ont échoué hier et échoueront plus encore demain. Et – surtout – il ouvre les portes et les fenêtres à une société civile aussi foisonnant­e que rétive aux partis.

Un mouvement pourrait alors naître prônant la refondatio­n d’institutio­ns verticales inadaptées à l’époque, s’engageant résolument dans la transition énergétiqu­e, s’appuyant sur les progrès de l’économie sociale et solidaire, proposant une Europe puissante et démocratiq­ue, assumant la confrontat­ion avec le trumpisme et le poutinisme. Bref, opposant à la cohérence nationale-souveraini­ste une cohérence progressis­te et cosmopolit­e.

Nous en sommes loin. Rien n’est encore fait. Mais rien n’est écrit non plus. Au sein des ténèbres dans lesquelles nos démocratie­s occidental­es semblent inexorable­ment plonger, l’incertitud­e est déjà une victoire. Et la possibilit­é du neuf, une lueur d’espoir. Cours vite, camarade, le vieux monde est derrière toi !

“HAMON A OUVERT LE CHAMP DES POSSIBLES À GAUCHE.”

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France