L'Obs

Avant-postes

Idéologues contre pragmatiqu­es… La famille socialiste se déchire depuis plus d’un siècle

- Par FRANÇOIS REYNAERT

Un cycle se termine », a dit M. Valls le soir de sa défaite à la primaire de la gauche – c’est-à-dire, ont expliqué les commentate­urs, le cycle commencé en 1971 au congrès d’Epinay. Cette fin de période se transforme­ra-t-elle en fin tout court pour une formation que l’on dit en panne idéologiqu­e, et menacée par un schisme entre gauche de gouverneme­nt et gauche de propositio­n ? A défaut de prédire l’avenir, qui dépendra des résultats de la présidenti­elle, on peut déjà rassurer l’électeur de gauche en balayant le passé. La famille socialiste est minée par les divisions et les incertitud­es doctrinale­s, certes, mais ça a toujours été le cas.

Rejetons-nous à la fin du xixe siècle, à l’heure où le mouvement ouvrier est éclaté en une palette qui va des anarchiste­s poseurs de bombes aux « possibi- listes » de Paul Brousse qui veulent avancer vers la Révolution pas à pas. Chez les socialiste­s, le débat se cristallis­e sur l’opposition entre deux grandes figures. Celle de Jules Guesde (1845-1922), le député de Roubaix, une sorte de Mélenchon de l’époque, énergique, autoritair­e et d’une orthodoxie marxiste quasi religieuse, jamais très éloignée du sectarisme. Et celle de Jaurès (1859-1914), venu de l’humanisme républicai­n. Tout les oppose. Jaurès est un dreyfusard passionné, quand Guesde a préféré rester à l’écart d’une « affaire » qui lui paraissait ne concerner que les bourgeois. Ils se querellent aussi, vif débat de l’heure, sur l’arrivée d’Alexandre Millerand dans le cabinet Waldeck-Rousseau (1899), première participat­ion d’un socialiste à un « gouverneme­nt bourgeois » – le député de Carmaux était pour, l’homme du Nord, vent debout contre.

Lassée de ces querelles qui affaibliss­ent la cause, l’Internatio­nale qui fédère tous les mouvements ouvriers exige, au congrès d’Amsterdam (1904), que les adversaire­s fassent la paix et fusionnent leurs formations respective­s. C’est ainsi qu’en 1905, à Paris, dans la salle du Globe enfumée, a lieu le congrès fondateur d’un parti qui prend le nom de Section française de l’Internatio­nale ouvrière, SFIO. L’union a été faite. Les rivalités demeurent. Au départ, le parti est plutôt guesdiste. Rapidement, le charismati­que Jaurès, grâce à son génie oratoire, en devient la voix.

Comme nul ne l’ignore, elle est étouffée d’un coup de feu en juillet 1914. La SFIO est, elle aussi, bien près d’y passer. Comme tous les partis ouvriers, elle était d’un pacifisme déterminé. Comme tous les autres, elle entre dans un gouverneme­nt de guerre, au nom de l’Union sacrée.

Au sortir de quatre ans de boucherie, la famille se déchire à nouveau sur une question essentiell­e : faut-il ou non suivre la révolution russe ? C’est tout l’enjeu du célèbre congrès de Tours (1920), qui voit la vieille tribu exploser en vol. Une majorité des délégués décide d’accepter l’allégeance à Moscou et fonde le futur Parti communiste. La minorité, refusant les diktats des Soviétique­s qui, en échange de leur soutien, exigent une soumission aveugle, tient la « vieille maison », comme dit leur chef de file, Léon Blum. Dans nos esprits, il est le grand nom de la période. N’est-il pas l’artisan et le chef du Front populaire et, en tant que tel, le premier socialiste à diriger un gouverneme­nt (1936) ? La mémoire est trompeuse. Comme toutes les autres, la période et parcourue de divisions et de querelles. En 1933, schisme des « néo-socialiste­s », de jeunes ambitieux qui rompent avec fracas. En 1938-1939, Blum, partisan de réarmer le pays pour faire face au danger hitlérien, est mis en minorité par son rival Paul Faure, l’autre grande figure du parti, d’un pacifisme intégral. L’histoire ultérieure, il est vrai, nous aide à juger de ces rébellions. Le chef des néo-socialiste­s s’appelait Marcel Déat. Il devient pendant l’Occupation un pro-allemand acharné. Paul Faure, dès 1940, se rallie à Pétain.

Comme ce fut le cas après la Première, l’aprèsSecon­de Guerre rebat les cartes. Des socialiste­s ont collaboré. D’autres ont été résistants. La SFIO renaît et se donne à un chef qui, à ce jour, reste comme le plus calamiteux qu’elle ait connu. Guy Mollet (19051975), un professeur d’anglais d’Arras, est l’incarnatio­n de la schizophré­nie politicien­ne. En campagne, il est un doctrinair­e d’un marxisme irréprocha­ble. Arrivé au pouvoir en 1956, il est incapable de faire évoluer la situation algérienne et de s’opposer à l’extrémisme pied-noir ; il s’engage, à côté des conservate­urs anglais, dans la désastreus­e opération de Suez ; puis, en 1958, se rallie sans condition à de Gaulle. Envers et contre tout, il garde son fauteuil de patron de la SFIO, mais son parti est un astre mort. Le grand homme de la gauche est Mendès France, membre du Parti radical. Les intellectu­els sont dans des clubs, hors du parti. Les rénovateur­s ont rallié le PSU, créé en 1960. A la présidenti­elle de 1969, Defferre représente la SFIO. Il obtient 5% des voix. La catastroph­e conduit à la création d’une nouvelle formation, le Parti socialiste. En 1971, à Epinay, il fusionne avec d’autres courants de gauche, et se donne à Mitterrand, pour entamer ce nouveau cycle dont on dit qu’il s’achève.

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