Jobs sur ordonnance
Les blouses blanches ne manquent généralement pas de travail. Mais les concours sont saturés et difficiles. Comment suivre sa vocation?
C’est presque la quille pour Adrien Rivière. A 32 ans, ce chef de clinique assistant à l’hôpital Cochin, à Paris, doit encore passer un diplôme complémentaire en urologie, puis le concours de praticien hospitalier, et il pourra enfin fêter la fin de ses études ! Dire qu’il avait choisi médecine pour éviter deux ans de prépa… Au bout du compte, Adrien aura étudié quinze années, mais pas seulement le nez dans les livres et les cours. En médecine, la pratique à l’hôpital débute dès la quatrième année et se poursuit tout au long du cursus, avec une succession de stages qui permet d’affiner son projet, comme il le raconte. « En pédopsychiatrie, j’ai réalisé que je ne voulais pas travailler avec des enfants, en chirurgie j’ai été rassuré sur ma capacité à bien vivre les opérations, mais c’est dans un service d’urologie que j’ai découvert le plaisir d’exercer. Une spécialité où l’on peut suivre les patients du diagnostic jusqu’à leur convalescence, alors que les chirurgiens sont en général un maillon de la chaîne des soins. »
Pas de panique pour ceux qui ne seraient pas prêts à étudier pendant quinze ans : le parcours est, en général, un peu moins long. Entre neuf et douze ans en moyenne, mais avec l’assurance de revenus confortables, de 6 000 à 15 000 euros par mois selon le domaine choisi, et d’un marché en forte demande. Certaines régions, désertées par les médecins, rivalisent d’ingéniosité pour attirer généralistes et spécialistes. Car notre système de santé est l’une de ces exceptions dont nous avons le secret : malgré une Sécurité sociale de service public, avec un nombre de nouveaux médecins strictement contingenté par le ministère de la Santé, ceux-ci – relevant d’une profession libérale – peuvent en revanche visser leur plaque où bon leur semble. Rien n’y fait. Le ministère a beau augmenter – au compte-gouttes – le nombre de places au concours dans les régions déficitaires, cela n’y change rien. Une goutte d’eau au regard de la pénurie de blouses blanches qui sévit à l’hôpital et dans de nombreuses structures comme les maisons de retraite, sans parler des cabinets privés. Pédiatres, psychiatres, ophtalmos ou gynécologues, mais aussi généralistes, sont désespérément attendus.
Ce n’est pas que les vocations fassent défaut, tant s’en faut. Plus de 55000bacheliers s’inscrivent chaque année en première année commune aux études de santé (médecine, pharmacie, dentaire, sagefemme). Mais le numerus clausus –le quota d’étudiants admis en deuxième année–, lui, reste limité à 8 000 places en médecine. L’accès aux métiers est donc très sélectif. Plus de la moitié des reçus sont des redoublants, souvent de bons bacheliers scientifiques, au profil très scolaire, comme Valentin Coussens, 19 ans, reçu en médecine en juin dernier à Limoges dès sa première tentative. « Mais j’ai beaucoup travaillé, tempère-t-il, et je me suis entouré d’amis qui étudiaient avec moi. Et puis, j’ai suivi une prépa privée, trois fois par semaine. Avec le recul, je pense que le tutorat à la fac m’aurait tout aussi bien aidé. » Ce sont les étudiants de deuxième et de troisième année qui assurent les «colles»: elles obligent les étudiants à apprendre régulièrement et leur évitent ainsi d’accumuler des retards vite impossibles à rattraper. En dentaire, où les besoins sont pourtant très importants, même situation, le numerus clausus ne permet qu’à 7% des candidats de réussir l’entrée en deuxième année. Même proportion pour celui des sagesfemmes. Lesquelles, en outre, restent très mal payées (1600 euros brut en début de carrière) malgré leurs nombreuses revendications ces dernières années. Du coup, bien des aspirants aux métiers médicaux partent se former en Belgique, en Suisse, en Espagne, en Roumanie, etc. En 2014, un quart des nouveaux inscrits à l’Ordre avaient un diplôme étranger. Parmi eux, 400 Français.
En pharmacie, les chances de réussite sont plus élevées, 30%, mais le métier n’est plus ce qu’il était. « Les débutants hésitent à s’installer, ils préfèrent devenir adjoints ou remplaçants et éviter ainsi les gardes, les contraintes administratives et la responsabilité d’une
DANS DES SPÉCIALITÉS, COMME CELLE DE LA RÉÉDUCATION, LA DEMANDE EXPLOSE.
officine, constate Laura, 29 ans, préparatrice dans une petite ville près de Châteaudun, elle-même rescapée après le rachat de son officine par une jeune diplômée qui a dû licencier deux de ses collègues. Les grosses pharmacies installées dans les centres commerciaux et la vente sur internet rendent le métier difficile. » Restent des possibilités dans la recherche, à l’hôpital, mais aussi dans l’industrie, où les salaires sont attrayants.
Du côté des infirmiers, l’ambiance est aussi un peu morose. Après des années de pénurie, donc de plein-emploi, la profession connaît un taux de chômage de 10% selon les syndicats, et des conditions d’exercice souvent éprouvantes. Mais dans d’ autres spécialités, en particulier celle de la ré éducation, la demande explose. Notamment pour les ergothérapeutes, ces ré éducateurs s’ occupant des personnessouffrant d’ un handicap. Lespsychomotr ici ens, qui travaillent à réconcilier le corps et l’esprit en passant par le mouvement, ont également le vent en poupe : leurs effectifs ont doublé entre 2009 et 2013. Formés en trois ans comme les ergothérapeutes, ils peuvent exercer aussi auprès des personnes âgées pour les stimuler, les aider à ressentir leur corps, ou bien auprès d’enfants souffrant de troubles du développement psychomoteur. « J’aime cette pratique riche et variée auprès de patients très différents, des bébés aux personnes âgées, explique Mathilde Dauvilliers, 25 ans, installée à Chartres depuis trois ans. La jeune femme travaille en libéral et dans un centre de rééducation pour enfants. « C’est rassurant et enrichissant, quand on débute, d’échanger avec les autres professionnels de santé. » Parmi eux, des médecins mais aussi souvent des orthophonistes. Ils sont chargés des problèmes de dyslexie et d’expression des enfants, mais, c’est moins connu, ils interviennent également auprès d’adultes malentendants ou souffrant de troubles du langage après, par exemple, un AVC.
Les concours menant aux différentes professions médicales sont sélectifs, avec une moyenne de 10% de reçus, d’où une inflation de prépas privées parfois très coûteuses, sans garantie de résultat. Autre possibilité, s’inscrire en première année de médecine, les instituts de formation en soins infirmiers réservant ainsi 10% de leurs places à ces étudiants. Quant aux kinés, dont le concours est encore plus disputé, avec seulement 5% de reçus, c’est désormais pour eux un passage obligé: un an en fac de médecine, de sciences ou de sport. Prudence du côté des ostéopathes, où, malgré un cursus de quatre ou cinq ans, l’emploi ne va pas de soi à la sortie. Contrairement aux kinés qui soignent une articulation ou un organe, ils abordent le corps dans sa globalité. Et restent ignorés par la Sécurité sociale, ce qui explique qu’on les trouve peu en hôpital. « Sauf dans quelques services de maternité, précise Stéphane de Béron, ostéopathe et formateur à l’Institut Dauphine (aucun lien avec l’université du même nom), mais leur statut n’est pas clair, et ils travaillent souvent en libéral à côté. » Or, l’accès au métier ne fait l’objet d’aucun numerus clausus. On compte aujourd’hui plus de 26000 ostéopathes contre 12000 à peine en 2009. Stéphane de Béron, seul praticien dans une petite ville aux portes des Yvelines depuis presque dix ans, vient ainsi de voir s’installer deux jeunes diplômés qui portent à… 63 le nombre d’ostéopathes dans un rayon de 40 kilomètres !