L’entrée des artistes
A condition d’être doués et solidement formés, les créateurs ont aussi leur place dans l’industrie
Tapez « Studio des Formes » sur un moteur de recherche. Vous découvrirez un écran dans l’écran, le book en ligne d’un trio de graphistes free-lance sortis en 2015 de l’Ecole supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg pour présenter leur savoir-faire de designers maîtrisant tant le crayon que les outils numériques. Valentin Robinet, 24 ans, l’un des trois artistes, boucle ses fins de mois en travaillant au Bon Marché, aux côtés du directeur artistique. Par exemple, il aide à mettre en scène des artistes comme Chiharu Shiota, plasticienne japonaise dont la vague géante en fils arachnéens surplombe en ce moment le rez-de-chaussée du grand magasin. Valentin n’est pas riche, mais il est heureux ! Il fait partie des 280 000 professionnels de la culture et de la création, parmi lesquels on croise des plasticiens, des photographes, des artistes de tout poil, des cadres et techniciens du spectacle, des architectes, des professeurs et artisans d’art… sans compter les professionnels de la mode, ou encore ceux qui sont passés de l’autre côté du miroir et s’occupent de la gestion de projets culturels.
Le talent et la passion ne suffisent pas. Un cocktail de diplômes prestigieux combinés à des aventures personnelles est aussi indispensable pour acquérir les méthodes, l’ouverture d’esprit, la maîtrise technique… et pour construire son réseau. Zoé Guédard, jeune Bretonne de 23 ans, évoque une succession de formations, de stages, de petits boulots, sur fond de travail incessant. Contre l’avis de ses professeurs qui lui conseillent S, cette bonne élève opte pour un bac arts appliqués, puis un BTS mode et environnement à la très sélective Ecole Duperré à Paris. Elle s’installe un an à Dakar avec un « collectif voyageur », trois amis ayant chacun leur spécialité, « pour monter une collection de vêtements comme un carnet de voyage », explique-t-elle. Là-bas, elle apprend le patronage et le façonnage de vêtements auprès de tailleurs locaux. Après une reprise d’études à Duperré, sans attendre d’avoir bouclé son master, elle trouve un stage, puis un CDD comme assistante auprès d’Olivier Saillard, directeur du Palais Galliera, le Musée de la Mode de la Ville de Paris. « Je pense avoir trouvé ma voie, moins dans la mode pure que dans la conception et la gestion de performances. »
« A la sortie de toutes les écoles, même les plus prestigieuses, le parcours est compliqué », prévient Véronique Bolze, du cabinet de recrutement People to People, spécialiste de la mode et du luxe. « Privilégiez celles qui ont un département emploi et stages efficace. » Selon la dernière enquête du ministère de la Culture, 86% des 5000 diplômés des écoles publiques nationales ou régionales sont en emploi trois ans après. Et s’ils ne roulent pas sur l’or, tous, ou presque, disent qu’ils se réalisent professionnellement. Pourtant, le salariat n’est pas la règle. La moitié des jeunes plasticiens, par exemple, travaillent en indépendants. « Les emplois classiques sont de plus
en plus difficiles à décrocher. Nos diplômés deviennent auto-entrepreneurs, s’organisent en collectifs…» confirme Jérôme Saint-Loubert Bié, artiste graphiste, enseignant aux Arts déco de Strasbourg.
Mais pour les amoureux des écrans, la 3D est en pleine expansion. Une formation en animation ou en effets spéciaux vaut de l’or. Cela tombe bien, la France compte quelques-unes des meilleures institutions : les Gobelins, Supinfocom, ArtFX, Rubika, Mopa, l’Idem…. « Elles attirent chaque année les équipes de recrutement de studios présents dans le monde entier, explique Matthieu Hoffmann, directeur des ressources humaines de Mikros Image, une société française de post-production spécialisée dans la création d’effets visuels. Un jeune diplômé pourra trouver des opportunités dans le monde entier, auprès de très grands studios ou de plus petites structures. »
Le métier du design, lui, est en pleine évolution. Les doubles diplômes sont très prisés. « Du design de produits, d’espaces, de packaging, on est passé à un “design thinking” qui prend la mesure des besoins des usagers par des enquêtes sociologiques et des entretiens, et qui définit un cahier des charges très en amont », explique Antoine Fenoglio, un des fondateurs de Sismo Design. Il vient d’engager Clément Rémy, qui a suivi la filière artistique de l’Insa Lyon et a complété son cursus par un master à l’école de design Strate de Paris et un stage chez Hermès. Un de ses premiers projets à Sismo Design ? « Repenser l’ergonomie de l’usager de Pôle Emploi et réhumaniser les espaces d’accueil », explique l’intéressé, qui parle d’un métier « holistique », où l’on se conduit quasiment « comme un ethnologue, en s’intéressant au parcours psychologique de l’utilisateur ».
Pour ceux que l’art fascine, mais qui se préfèrent aux manettes, dans le rôle de facilitateurs de projets, les formations en gestion culturelle peuvent se révéler payantes… à condition de les compléter. « Pour moi, la règle d’or a été de faire des stages, qui m’ont donné une expérience professionnelle », insiste Soraya Karimi, 28 ans, titulaire d’un master gestion de projets culturels de Lyon-II, qu’elle a suivi après l’Ecole du Louvre à Paris. Mais la jeune femme d’origine iranienne a su par ailleurs développer une expertise en arts visuels africains grâce à de multiples stages et petits jobs dans les réseaux de l’Alliance française ou au sein d’ONG au Bénin, au Ghana, au Maroc. Elle est actuellement chargée de mission culturelle à l’Alliance française de Johannesburg. Pas question d’être trop gourmand, en tout cas. « Ce sont des métiers qui paient mal, sous prétexte qu’on les embrasse par passion », s’exclame Joséphine Dupuy-Chavanat, 24 ans, titulaire d’un master 2 de Paris-Dauphine en gestion culturelle. Une récente enquête du ministère de la Culture avance des revenus annuels entre 1000 euros et 1700 euros net par mois pour le premier emploi. Cette blonde à la voix assurée a passé ses années d’études à monter des projets qui ne lui rapportaient pas un kopeck et à enchaîner des stages peu rémunérateurs, à la Phillips Collection à Washington ou dans une galerie d’art contemporain à New York. Mais son investissement a fini par payer : elle vient de décrocher un CDI chez Emerige, un promoteur immobilier engagé dans la culture, où elle s’occupe du mécénat. Elle est payée 2400 euros brut par mois. Elle est l’une des seules de sa promo à avoir trouvé un CDI.
LE MÉTIER DU DESIGN EST EN PLEINE ÉVOLUTION. LES DOUBLES DIPLÔMES SONT TRÈS PRISÉS.