L'Obs

Papa maman

Où l’on voit que ce n’est pas toujours aussi simple

- D. D. T.

Une femme interdite de voir ses enfants. Tiens donc, et pourquoi ça ? Il faut d’abord savoir qu’elle en a cinq, des enfants. De ces cinq enfants, elle n’est pas la mère, même s’ils sont nés d’elle. Elle en a été le père. Devenue femme, elle ne prétend pas en devenir la mère, ils en ont déjà une, elle souhaite juste pouvoir rencontrer ses enfants. Leur mère s’y oppose. Les sentiments des enfants ne nous sont pas connus et, d’ailleurs, ils ne savent sans doute pas ce qui est arrivé à Papa. Là où la chose se complique, c’est que la famille est de religion juive ultra-orthodoxe. Il y a du rabbin pour s’en mêler.

L’affaire se passe à Manchester. Les Anglais savent se montrer tolérants. Les Anglais juifs ultraortho­doxes de Manchester ne le savent pas. Devant un juge qu’on peut supposer de religion anglicane, ou athée, ou n’importe quoi mais en tout cas pas religieux juif ultra-orthodoxe, la mère de leurs cinq enfants plaide que si on découvre dans sa communauté que son ancien mari devenu femme a simplement vu leur commune progénitur­e et que la progénitur­e l’a vu, ces cinq enfants seront vilipendés, ostracisés. La famille sera chassée. Le papa transgenre ruinerait leur bonheur d’être juifs ultra-orthodoxes.

Dix-huit mois que ce père non convention­nel a quitté la maison et Manchester. Ce fut peu après avoir vu naître le dernier des enfants, âgé aujourd’hui de 2 ans. L’aîné des cinq en a 12. Le juge, Peter Jackson, qui a dû avoir à résoudre bien d’autres séquelles de séparation­s, n’a pas dû en voir beaucoup causer autant d’agitation sous sa perruque. Il lui fallait trancher, cependant, puisque cette malheureus­e femme s’adressait à lui en père éploré. La mère, de son côté, avait le désir légitime de protéger ses enfants. Etait attendu un jugement de Salomon comme on n’en trouve pas dans la Bible, pourtant riche en histoires extraordin­aires. Bien comprendre que l’ancien père ne réclamait pas les enfants pour lui. Qu’il demandait juste, on l’a dit, de pouvoir les rencontrer. Allons à la ligne pour laisser au lecteur le temps de choisir la sentence qu’il aurait lui-même prononcée.

Voici la sentence de Peter Jackson, après laquelle il ne lui restait qu’à s’éponger. Les enfants et leur père pourront échanger des lettres ou des cartes postales jusqu’à quatre fois l’an, à l’occasion d’anniversai­res ou de fêtes religieuse­s. Une fois épongé, le juge ajouta que sa décision n’était pas la condamnati­on d’un changement de sexe, lequel n’avait rien de répréhensi­ble. Il s’agissait de protéger les enfants du danger grave et avéré auquel ils étaient exposés dans une communauté religieuse attachée à ses valeurs. Allons une nouvelle fois à la ligne pour permettre au lecteur de méditer sur les valeurs religieuse­s ci-avant évoquées.

Le « Jewish Chronicle » et le « Jewish News Online », auxquels le chroniqueu­r invite à se référer si on doute de la véracité des faits ici rapportés, terminent sur la conclusion du juge : il ne fallait voir dans ce dénouement ni victoire ni défaite pour aucune des parties. N’empêche que qui a gagné, hein? Le père demandeur souhaitait être rapproché de ses enfants progressiv­ement et avec précaution (« sensitivel­y ») mais le juge, en fin de compte, déclarait que le pont entre cette communauté religieuse et un père transgenre lui paraissait trop large. « Pas pour des enfants, précisa-t-il, lesquels ont bon coeur, mais pour les adultes, et je le déplore. »

Il va venir quand, Zorro, pour retirer à ces sombres barbus leur grand chapeau ? Post-scriptum qui n’a rien à voir. – Chronique écrite sous le jazz implacable du duo Hamid Drake (batterie)/Sylvain Kassap (clarinette­s diverses), double album Rogue Art, « Heads or Tails », qui vient de paraître.

Cette malheureus­e femme s’adressait à lui en père éploré.

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