L'Obs

Scorsese, nom de Dieu

SILENCE, PAR MARTIN SCORSESE. DRAME HISTORIQUE AMÉRICAIN, AVEC ANDREW GARFIELD, ADAM DRIVER, CIARAN HINS, LIAM NEESON (2H41).

- FRANÇOIS FORESTIER

C’est le grand oeuvre de Scorsese : il en rêvé pendant vingt-cinq ans, il y a concentré tous ses thèmes – la faute, la rédemption, le sang, la mort – et il s’interroge, à 74 ans, sur les fins dernières. Méditation lente, voyage aux confins du monde, « Silence » est, avant tout, l’enfant de l’inquiétude. Et si Dieu était un taiseux ? S’Il nous regardait, depuis le nuage du trône, en Pantocrato­r indifféren­t ? Scorsese s’inspire d’un roman japonais (datant de 1966) de Shusaku Endo, auteur qui n’a cessé de professer son admiration pour Mauriac et qui a signé une « Vie de Jésus » et une biographie du Marquis de Sade, entre autres. Partant d’un fait historique – le voyage de deux jésuites, les pères Garupe et Rodrigues, au xviie siècle, vers le Japon – Scorsese reconstitu­e le martyre des kirishtans (christians, « chrétiens »), là-bas, torturés, mis à mort, s’ils n’abjurent pas en piétinant un fumie, image sainte, devenant ainsi des tombés. Pendant près de dix génération­s il y a eu des clandestin­s, jusqu’à l’obtention de la liberté de croire, établie en 1896. Scorsese transforme cette violente rencontre entre l’Orient et l’Occident en opéra de la conscience : ces silhouette­s dans la brume, ces corps flottants dans l’océan, ces seigneurs de guerre shintoïste­s qui ne croient pas au péché, et, surtout, cette apostasie du père Rodrigues qui devient un collabo, tout mène à l’effondreme­nt de l’âme. Et Scorsese de définir son axiome : le doute, c’est la matière même de la foi. Si Dieu est amour et indulgence, il pardonnera, même l’abjuration. S’il est le grand juge, le maître absolu, il condamnera ces errements et l’hypocrisie de ce catholicis­me secret, aussi adapté au Japon qu’« un complet-veston de confection ». Le film est long, sans doute trop (2h41), et renoue avec les autres concerts spirituels du cinéaste – « la Dernière Tentation du Christ », 1988 ; « Kundun », 1997. La beauté des images, la terrible « ombre portée du surnaturel », et, surtout, l’impérieuse nécessité de s’interroger sur la nature même de l’homme posent « Silence » comme un beau défi. Et il n’est pas inutile de revenir, aujourd’hui, sur ce que signifie l’intoléranc­e religieuse… Dans un paysage cinématogr­aphique envahi par les super-héros et les clafoutis à dollars, Scorsese s’élève. On aime ou on n’aime pas, mais ce « Silence » s’envole comme une prière d’encens vers la voûte d’une cathédrale.

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