L'Obs

La femme-orchestre

FESTIVAL PRÉSENCES : “KAIJA SAARIAHO, UN PORTRAIT”, DU 10 AU 19 FÉVRIER, À RADIO-FRANCE.

- JACQUES DRILLON

A la différence du béret, la musique de Kaija Saariaho a un sens. Peut-être pas une significat­ion, mais un sens : dense, subtil, délicat, parfois simplement ravissant, d’un charme mystérieux. Cette compositri­ce d’origine finlandais­e, qui a appris son métier là-bas, là-haut, si loin, à Helsinki, avec Magnus Lindberg, Jouni Kaipainen, Esa-Pekka Salonen, Jukka Tiensuu, ses vieux amis (« Il arrive un moment dans la vie, dit-elle, où l’on ne peut plus se faire de vieux amis »), est une femme qui n’a pas oublié le silence. Elle parle lentement, sans agitation, avec une douceur contagieus­e. Derrière son haut front de créatrice exigeante, sous cette chevelure rousse et bouclée qui lui donne un air de Parisienne sous l’Occupation, se cache un talent inouï. Aujourd’hui, les plus grands orchestres, les plus grands chambriste­s et les meilleurs chefs la jouent. Son opéra « l’Amour de loin », sur un livret d’Amin Maalouf (qui a écrit aussi celui de son oratorio, « la Passion de Simone », en hommage à Simone Weil), créé à Salzbourg, vient d’être monté au Met de New York ; l’Opéra-Bastille va en monter un autre ; et le festival Présences fait d’elle, cette année, sa compositri­ce d’honneur.

Comme les « spectraux » (Grisey, Murail et les autres), qui, comme leur maître Debussy, écrivent avec des sons et non pas des notes, Saariaho entre dans la matière, et y trouve des structures, des combinaiso­ns, des rencontres. Elle a apprivoisé l’informatiq­ue musicale (elle vit aujourd’hui avec Jean-Baptiste Barrière, compositeu­r, ingénieur, créateur multimédia, et grand personnage de l’Ircam), mais en fait un usage très personnel, discret, maîtrisé. Sa musique de chambre est fascinante, ses opéras sont graves et poétiques. « Ma musique de chambre, dit-elle, est moins connue que mes opéras. Mais si j’écris des opéras, je ne le fais pas pour l’argent : je compose beaucoup trop lentement ! Et je ne le fais pas non plus parce qu’ils ont plus de visibilité. Je le fais parce que c’est une forme passionnan­te. J’ai cru longtemps que c’était un genre obsolète, superficie­l,

avec ces chanteurs trop chers qui exhibent leur voix et leurs notes aiguës. Et puis j’ai découvert que cela pouvait être profond, spirituel, et que les autres arts associés à la musique peuvent la porter, et établir une connexion directe avec le public, avec les autres êtres humains. Peut-être moins intime, mais moins abstraite. » Toujours l’identifica­tion… « A l’Opéra, comme femme, comme mère, comme être humain heureux ou souffrant, je sens la réalité humaine projetée de la scène : ce sont des personnage­s, comme moi je suis une personne. Et comme compositri­ce, l’expérience est parfois magnifique. Je viens de passer deux mois et demi à New York : le Met, c’est fantastiqu­e ! Cette machine énorme, aussi précise que profession­nelle, la beauté de la salle, l’engagement de chaque musicien, les larmes des chanteurs après les représenta­tions, cette convergenc­e des énergies et des talents dans un seul but, c’était incroyable, d’ailleurs très éprouvant émotionnel­lement. »

Et comment se passent le retour à Paris (où elle vit depuis 1982), la confrontat­ion avec le silence, et le papier réglé ? « Je suis très soulagée. Cela ne m’était jamais arrivé de ne pas écrire une note pendant un temps aussi long. J’étais très heureuse. Je me mets au travail le matin, je m’échauffe, et maintenant que j’ai acquis le savoir-faire, je laisse se faire le va-et-vient entre la réflexion et le rêve. » Ce n’est pas tout d’entendre ce qu’on écrit, il faut aussi écrire ce qu’on entend… Et quand l’inspiratio­n est là, la main est trop lente, il faut garder l’idée au chaud, pendant tout le temps de l’écriture : « Oh oui, c’est lent ! Il faut une patience ! Et au milieu de l’accélérati­on générale !... »

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