L'Obs

Le cahier critiques Cinéma, livres, musique, exposition­s, théâtre... Notre sélection

- L’HOMME DES BOIS, PAR PIERRIC BAILLY, P.O.L, 160 P., 10 EUROS. JÉRÔME GARCIN

Il y a des façons plus pompeuses de mourir. Mais Christian Bailly n’était pas un homme avantageux. Un jour où, en chaussures de ville, il allait cueillir des morilles dans la forêt, il a glissé sur une pente humide et a chuté dans le vide. On l’a retrouvé trois jours plus tard, la tête fracassée, sans pouvoir savoir s’il était mort sur le coup ou s’il avait agonisé pendant plusieurs heures. Il avait 61 ans. L’accident s’est déroulé au-dessus de l’ancienne ligne de chemin de fer qui reliait Lonsle-Saunier, sa ville natale, à Saint-Claude, où il avait été tourneur sur bois. Il avait aussi travaillé dans une usine qui fabriquait des couvercles de poêle et dans un atelier de pipes en bruyère avant de devenir infirmier dans un centre de soins en addictolog­ie. Si nul ne s’est inquiété de sa disparitio­n, c’est qu’il était célibatair­e depuis trente ans. Sa femme l’avait quitté quelques mois après la naissance de leur fils unique. Le fils, c’est Pierric Bailly (photo), aujourd’hui âgé de 34 ans, l’auteur de « Polichinel­le » et de « l’Etoile du Hautacam ». Pour dire adieu à son père, il s’est installé dans le petit appartemen­t qu’il habitait dans une HLM et a sillonné la région au volant de sa vieille Seat Ibiza, jusqu’à la forêt qui fut son tombeau. Comme on mène une enquête, il a ouvert ses cahiers, ses classeurs, ses correspond­ances, a interrogé les gendarmes, la vieille terre jurassienn­e et le passé de cet « Homme des bois », au propre comme au figuré. Car le modeste, généreux et irréductib­le Christian Bailly incarnait un monde qui semble révolu. Il avait été objecteur de conscience, baba cool, avait rencontré sa femme sur le plateau du Larzac, manifesté à CreysMalvi­lle contre la centrale Superphéni­x et avait vécu heureux dans la reculée de La Frasnée avant de s’engager dans la vie associativ­e, de lutter contre les inégalités, de « se coltiner » jour et nuit « les types ravagés, les éclopés de la vie, les fous, les paumés, les rebuts de la société ». « L’homme des bois » était un mec bien. Un rebelle doublé d’un idéaliste et d’un libre penseur, qui adulait Reiser, écoutait Brel, Ferré, Escudero, lisait les libertaire­s Louis Lecoin et Daniel Guérin, adorait visiter les maisons d’écrivain et calmait ses ardeurs avec le yoga. Pour faire le portrait de ce travailleu­r social et lui être fidèle, il ne fallait surtout pas user de grands mots ni donner dans l’éloge ronflant. Il ne fallait pas verser un torrent de larmes dans le ruisseau où, immobile et trempé, le fils a dispersé les cendres de son père. Il fallait simplement lui ressembler. Ce qu’a fait Pierric Bailly, dont le texte bref est une merveille de justesse, de loyauté et de rugueuse tendresse. Comme dans le Haut-Jura, on entend même l’écho.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France