L'Obs

Passé/présent Mexique-Etats-Unis, une vieille rivalité

Alors que le xxe siècle avait été marqué par un apaisement des relations entre les deux pays, Donald Trump est en train de réveiller les tensions

- Par FRANÇOIS REYNAERT

Avec le sens diplomatiq­ue qu’on lui connaît désormais, Trump n’y est pas allé de main morte : déclaratio­ns blessantes pendant la campagne sur les Mexicains, promesse d’ériger son fameux mur le long de la frontière ou encore remise en question des accords de libreéchan­ge qui lient son pays à son voisin du Sud. Il y récolte aujourd’hui ce qu’il y a semé : appels au boycott des produits « gringos », manifestat­ions dans tout le pays et réveil en fanfare d’un nationalis­me mexicain dont nul n’a oublié ce qu’il doit à l’histoire tumultueus­e des relations entre les deux pays. Au moment de leur indépendan­ce (1783), les Etats-Unis, issus des 13 colonies britanniqu­es d’Amérique, ne représente­nt qu’une longue bande de terre située sur la façade atlantique, mais ils ont déjà un appétit à manger un continent. Dès le début du xixe siècle, leur expansion territoria­le commence grâce au rachat en 1803 de l’énorme Louisiane française à Bonaparte, puis de la Floride aux Espagnols (1818).

De son côté, le Mexique, quand il devient indépendan­t de l’Espagne en 1821, est un très vaste pays. Il possède, au nord, d’immenses territoire­s quasiment non peuplés, mais dont le potentiel attire. C’est le cas du Texas. Dans les années 1820, des colons venus des Etats-Unis commencent à s’y installer. Dès les années 1830, les tensions sont à leur comble entre ces fermiers anglo-saxons, majoritair­ement protestant­s et désireux de pratiquer l’esclavage, et leur nouveau pays, hispanopho­ne, catholique, qui vient de décréter l’abolition du travail servile. Les Texans se rebellent. Après quelques épisodes militaires qui les opposent à l’armée mexicaine – dont celui, fameux, de leur résistance héroïque à Fort Alamo sous l’égide de leur chef, Sam Houston –, ils forment en 1836 une république indépendan­te. En 1845, avec leur accord, elle est annexée par les EtatsUnis. Sur la lancée, ceux-ci ne cessent de s’enhardir. Ils convoitent désormais toutes ces terres mexicaines qui

vont du Texas jusqu’au Pacifique, mais le Mexique refuse de les vendre. Ils les prendront par la force. De 1846 à 1848 a lieu cette guerre américano-mexicaine dont les conséquenc­es se font toujours sentir. Pour les Mexicains, il est vrai, la défaite est de celles qu’on ne peut oublier. En 1847, l’armée américaine, qui a pratiqueme­nt toujours mené le jeu, réussit même à entrer dans Mexico. Le seul moment de gloire qui reste aux vaincus est le geste de désespoir des cadets de l’école d’officiers, retranchés dans le fort central de la ville, qui préfèrent se battre à mort plutôt que de se rendre. Depuis, les « niños héroes », les enfants héros, martyrs nationaux, ont leur monument dans le grand parc de la capitale et la plus grande station de métro porte leur nom. En février 1848, le Mexique à genoux est obligé de signer un traité qui avalise la cession d’un territoire immense. Il couvre tout ou partie des Etats actuels du Nevada, de l’Utah, de l’Arizona, du Nouveau Mexique, du Colorado, du Wyoming et bien sûr la longue Californie où, comble d’infortune, on vient deux semaines plus tôt de découvrir de l’or. Avec le Texas, et une petite portion de territoire achetée plus tard, ce sont donc plus de 2,2 millions de kilomètres carrés – quatre fois la France métropolit­aine – des Etats-Unis de M. Trump qui furent jadis des terres mexicaines… Après cela, le puissant voisin du Nord garde toujours un oeil sur les affaires de celui du Sud et n’hésite jamais à y intervenir plus ou moins directemen­t, mais au fil du temps les tensions s’apaisent. Porfirio Díaz (1830-1915), l’inamovible président qui réussit, par tous les moyens plus ou moins honnêtes, à se faire réélire de 1876 à 1911, est l’auteur de la fameuse phrase : « Pauvre Mexique, si loin de Dieu et si près des Etats-Unis. » Il est aussi celui qui, pour doper l’économie, ouvre grand la porte aux capitaux américains. Et aucun affronteme­nt ne se produira plus avec aucun de ses successeur­s du xxe siècle, même ceux se revendiqua­nt avec force de la révolution. Quand le plus célèbre d’entre eux, Lázaro Cárdenas (chef de l’Etat de 1934 à 1940), idole de la gauche, nationalis­e le pétrole, dans lequel les Etats-Uniens ont des intérêts, Roosevelt n’intervient pas, au nom de la « politique de bon voisinage », axe de sa diplomatie sur le continent.

A la fin du xxe siècle, l’accord de libre-échange nord-américain (Alena) est signé entre les trois pays du sous-continent pour créer une vaste zone où les biens peuvent circuler librement. Au début du xxie siècle enfin, divers accords bilatéraux sont mis au point pour réussir à circonveni­r les deux dossiers qui empoisonne­nt les relations entre les deux pays : l’immigratio­n clandestin­e et le narcotrafi­c. Ainsi les Etats-Unis aident-ils financière­ment le Mexique pour qu’il prenne une part importante à la lutte contre ces troubles sur son propre territoire. Hier ennemis, les deux Etats étaient devenus partenaire­s. Donald Trump semble décidé à ce que les choses reviennent à la case départ.

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