Décryptage Purple Rain, la déferlante violette
Une véritable pluie de violet s’abat sur la mode, la décoration, le maquillage et même la cuisine. La couleur s’impose partout, dans une version sans concession
On se souviendra longtemps de la poésie de ce moment. Lors de la fashion week printemps-été 2017, la danseuse étoile Marie-Agnès Gillot a défilé dans une robe Rabih Kayrouz, à laquelle elle a donné vie à coups de pirouettes et d’arabesques. Outre la gracieuse performance artistique, c’est la couleur du vêtement, un violet franc, étonnant et audacieux, qui a marqué les esprits. Le créateur libanais n’est pas le seul à avoir succombé à la « purple rain ». Cette saison, on ne compte plus les maisons qui ont proposé des créations allant du prune au lilas.
Car, en mode, le spectre du violet est large. Il s’étend du violine au lit-de-vin, en passant par le lavande et le pourpre. On l’a vu se déployer sur une longue robe de velours Ralph Lauren, un blouson en Plexi Carven, un top en cuir et un pantalon en crêpe de soie Nina Ricci ou encore un tailleur-jupe Chanel. Le violet se fixe sur di érentes formes, matières et styles, avec un point commun à tous les podiums, le total look. « Il a plusieurs facettes, variantes et interprétations. Il est romantique chez Wanda Nylon, interprété dans un style ghetto versaillais par Fenty Puma, rétro façon Dries Van Noten, spatial vu par Vuitton, contemporain pour Véronique Leroy, surréaliste chez Rick Owens ou bourgeois selon Vanessa Seward », confirme Claire Remy, styliste et responsable du prêt-à-porter femme chez Carlin International. Si, dans les défilés, le violet se porte seul, il est probable qu’il n’en soit pas ainsi quand il descendra dans la rue. On va sans doute le voir sur de nombreux accessoires ou alors mêlé à d’autres teintes. « Pour celles qui veulent prendre peu de risques, il faut le porter avec du kaki ou du blanc, parce que cela le tempère. Les plus audacieuses peuvent tenter de l’associer au jaune », conseille Claire Remy.
L’engouement actuel a de quoi étonner. Pourtant, la mode s’est déjà entichée du violet à d’autres époques. « Son apogée date de la création en 1856 de la mauvéine par Perkins, le premier colorant développé à grande échelle et qui tenait sur les vêtements. On retrouve le goût de cette teinte au même moment chez les impressionnistes », explique la linguiste Annie Mollard, auteur du « Violet » (à paraître chez CNRS Editions). La couleur, utilisée pour le deuil des rois au
siècle et le carême chez les ecclésiastiques, fascine depuis longtemps. « Au fil de l’histoire, elle a pris des significations diverses, à la fois symbole des académiciens, des su ragettes, des homosexuels, des hippies, de l’adultère... » C’est donc une teinte mystérieuse, presque érotisante, celle de la métamorphose, de l’ambiguïté. Quand la mode s’en empare, c’est majestueux. « Schiaparelli a proposé en 1938 une robe longue de satin prune et d’autres créations dans la même couleur par la suite. Saint Laurent a aussi fait de très beaux violets, notamment pour sa collection “Opéra-Ballets russes” qui signe le retour du luxe en 1976 », rappelle l’historienne Catherine Örmen.
L’AURA MYSTÉRIEUSE DU VIOLET
La di érence en 2017, c’est que cette déferlante de pourpre ne se limite pas aux vêtements. Depuis plusieurs mois déjà, les femmes peignent leurs lèvres et leurs ongles d’un bordeaux enivrant ou se poudrent les paupières de fards mauves. C’est le cas de stars comme Rihanna dans la pub pour ses lunettes, créées en collaboration avec Dior, de Kristen Stewart à Cannes ou plus récemment de Janelle Monae aux SAG Awards. « Les marques de maquillage ont besoin de se renouveler, analyse Olivier Guillemin, président du Comité français de la Couleur. Du carmin, on a naturellement basculé vers le rose, le bordeaux et maintenant le violet. C’est une couleur alternative, entre le rouge et le bleu, ni chaude ni froide, qui correspond à notre époque ambivalente. Elle est dérangeante, inattendue, on la voit très peu dans l’environnement naturel, ce qui lui confère une aura mystérieuse. En beauté, elle apporte un côté sophistiqué, une lumière flatteuse. »
Cette lumière violette, que l’on a vue en avril dernier éclairer des monuments du monde entier pour célébrer les 90 ans de la reine Elisabeth et la mort du chanteur Prince, est également beaucoup utilisée en décoration. Tous les fauteuils du restaurant Ladurée de l’Hôtel des Bergues, à Genève, dessiné récemment par India Mahdavi, sont lilas. La designer star, connue pour son goût des couleurs flamboyantes, a également créé de nombreux objets de la même teinte qu’elle trouve « gourmande et délicate ». Le violet o re en décoration une alternative à d’autres teintes sombres, comme le noir ou le bordeaux. Virginie Mourouvin, styliste et responsable de la maison chez Carlin International, explique : « Il est mis en avant dans les lieux intimistes, les hôtels particuliers rétro modernistes, où il est beau, charismatique. Mêlé à de l’or, il devient plus cardinal, plus intellectuel. De manière générale, il est souvent utilisé sur du textile, notamment le lin ou le velours. Mais certains l’apposent sur des objets, comme German Ermics qui propose un miroir violet mat. C’est clean, minimaliste, intéressant. En design d’intérieur, l’impertinence du violet interroge. »
S’il ne laisse pas indi érent, c’est parce que le violet peut être aussi chic que cheap. Mal utilisé, un mauve peut vite faire ringard. On se souvient de la chemise lilas de Manuel Valls assortie à sa cravate... C’est une couleur que l’on doit oser, qui ne supporte pas la demi-mesure. Ce n’est donc pas pour rien si elle est absolument partout, jusque dans nos assiettes. La pâtissière russe Olga Noskova, star d’Instagram avec ses glaçages dignes d’oeuvres d’art, publie régulièrement des photos de créations violines. Dans une version plus healthy, une étude menée par la chaîne de magasins bio américains Whole Foods annonce que les aliments violets, considérés comme nutritifs et antioxydants, « sont partout en 2017 : chou violet, riz noir, asperges violettes, açaï, baies rouges, patates douces violettes, maïs violet ». Prudence toutefois, la tendance aubergine pourrait se révéler écoeurante à la longue...