L'Obs

L’opinion de Matthieu Croissande­au

- Par MATTHIEU CROISSANDE­AU M. C.

Après l’étincelle, l’embrasemen­t? Depuis la découverte des conditions intolérabl­es de l’interpella­tion du jeune Théo à Aulnay-sous-Bois, chacun redoute que les banlieues ne s’enflamment. Tous les ingrédient­s semblent réunis : une légitime indignatio­n devant des violences exercées par des fonctionna­ires chargés de protéger leurs concitoyen­s, une instrument­alisation de la part de casseurs qui n’ont d’autre but que d’en découdre, et une opinion publique chauffée à blanc par une campagne électorale propice aux surenchère­s et aux amalgames.

Les amalgames, justement, fleurissen­t de part et d’autre. Non, les jeunes des quartiers difficiles ne sont pas ces sauvageons que décrivait autrefois Jean-Pierre Chevènemen­t, ni ces racailles que dénonçait Nicolas Sarkozy en son temps. Autant d’expression­s venimeuses qui continuent des années plus tard à distiller leur poison, même quand les faits les contredise­nt. Samedi dernier, dans la manifestat­ion de Bobigny, il n’était question que de justice, de dignité, de respect et de raison, avant qu’une poignée de perturbate­urs n’en profitent.

De la même façon, on ne le répétera jamais assez : non, les policiers ne sont pas ces cow-boys racistes à la gâchette facile. La police, parce qu’elle garantit l’ordre et la sécurité à chacun, est un des piliers de notre modèle républicai­n. La très grande majorité des agents accompliss­ent leur mission dans des conditions difficiles, parfois au péril de leur vie et très souvent sans moyens. Mais les pouvoirs qui leur sont conférés les obligent à l’exemplarit­é et à une condamnati­on sans faille du moindre dérapage, sans quoi plus rien ne sera possible.

Ce qui se joue derrière l’affaire Théo, c’est d’abord une immense crise de confiance entre la police et les citoyens. Glorifiés dans leur lutte contre le terrorisme, les policiers, au quotidien, pâtissent des politiques publiques qui ont été mises en place depuis des décennies, en particulie­r dans les quartiers difficiles. On pense évidemment à la suppressio­n stupide, par la droite en 2003, de la police de proximité, qui avait pourtant fait ses preuves dans d’autres pays. On pense aussi à l’abandon, dix ans plus tard, de la promesse faite par François Hollande de mettre un terme aux contrôles au faciès, par la création d’un récépissé notamment.

Ce que révèle aussi l’affaire Théo, c’est l’impuissanc­e des pouvoirs publics à s’atteler aux problèmes des banlieues : la relégation, l’isolement, la concentrat­ion de la pauvreté, l’abandon des services publics, le délabremen­t, les trafics et l’économie parallèle, la délinquanc­e urbaine… Malgré tous les plans de rénovation, malgré toutes les politiques de zonage possibles (scolaires, économique­s, sécuritair­es…), il règne toujours dans ces quartiers un sentiment d’« apartheid » symbolique et réel, comme le disait Manuel Valls il y a deux ans. Toutes les visites au pas de charge dans des maisons des jeunes désertées n’y changeront rien. Et c’est là une immense déception du quinquenna­t. Car, si la gauche est incapable de corriger les inégalités de territoire­s ou de destins qu’elle dénonce à longueur de tribunes, si la gauche ne se mobilise pas autrement qu’en allant tirer les sonnettes d’alarme les veilles de scrutin, si la gauche est impuissant­e à assurer à chacun la sécurité de ses enfants comme de ses biens, alors elle manque à tous ses devoirs. Comme à ses principes.

“CE QUI SE JOUE DERRIÈRE L’AFFAIRE THÉO, C’EST D’ABORD UNE IMMENSE CRISE DE CONFIANCE ENTRE LA POLICE ET LES CITOYENS.”

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