L'Obs

Bella Lisa

BEAUTÉ, PAR PHILIPPE SOLLERS, GALLIMARD, 205 P., 16 EUROS.

- JACQUES DRILLON

On ne commence jamais un livre de Sollers : on continue le précédent. Comme il les écrit en somme. A la manière d’un pianiste qui ne se met jamais au piano, mais ne fait que s’y remettre, on prend la suite. Cette fois, son héroïne s’appelle Lisa (quand il aura décliné toutes les saintes du calendrier en son « studio devenu harem », Sollers mourra, comme Philip Kolb après avoir corrigé les épreuves du dernier tome de la Correspond­ance de Proust), et elle est pianiste, justement. Lorsqu’elle joue, « toute la journée se recueille ». C’est que Lisa, bien que « corps spirituel », est un rêve de pierre pour Sollers : elle ignore le mouvement qui déplace les lignes, même au piano, au contraire des djihadiste­s, auxquels les statues ne sont bonnes qu’en explosant sous le soleil éternel. Lisa est grecque, parce que le grec, la langue grecque, est un « but ». Lisa et le narrateur s’aiment en leur « Olympe, pendant que se déroule, plus que jamais, en bas, l’interminab­le guerre de Troie ». Sollers ajoute : « Les phénomènes passent, je cherche les lois. » Lisa fait « vibrer l’herbe », transmet Bach, Mozart et Haydn (et le cristallin Webern). Aux côtés de Hölderlin, omniprésen­t, de Rimbaud et de quelques Chinois défile la longue théorie des musiciens, dont le destin est de « composer en pleine décomposit­ion ». Sollers n’a pas beaucoup réfléchi à la musique, il ne sait pas exactement ce que c’est (il serait bien le seul à le savoir, il faut l’avouer), mais il la prend d’instinct avec lui : c’est une alliée, comme la poésie, comme la phrase française, comme le rire bordelais (bien di érent du rire bourguigno­n). Car tout, dans Sollers, est a aire guerrière, chocs de mondes. Beauté contre anti-beauté ; femme contre féminisme à l’américaine (« l’enfer des femmes là-bas », dit-il, citant Rimbaud). Même la rosace de Notre-Dame « est en guerre intime, elle est faite pour des victoires et des résurrecti­ons ». La fin, c’est bien sûr l’arrivée chez les Grecs, les premiers et les ultimes, sous la haute protection d’Athêna. Sollers ne peut rater Lisa, car, dit l’Odyssée, « jamais deux Immortels ne peuvent s’ignorer, quelque loin que l’un d’eux puisse habiter de l’autre ».

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