L'Obs

La chronique

- Par RAPHAËL GLUCKSMANN Essayiste, auteur de « Notre France. Dire et aimer ce que nous sommes ». R. G.

de Raphaël Glucksmann

Une jeune femme blonde sourit, triomphant­e. Autour d’elle vibrionne une bande de post-ados interchang­eables et vides dont l’unique but est de se retrouver en tête à tête avec elle. Dans mon enfance, cette trame narrative simplette n’était que le script d’une sitcom cucul nommée « Hélène et les garçons ». Aujourd’hui, c’est devenu le scénario improbable d’une élection présidenti­elle à haut risque.

Depuis quelques semaines, les spectateur­s citoyens assistent sidérés aux déboires successifs de prétendant­s candidats paraissant aussi erratiques que des poulets sans tête. Le premier, l’ancien favori, s’est fait prendre la main dans le pot de Nutella au moment où il prônait le jeûne universel et la fin de la pâte à tartiner pour tous (les autres). Depuis, il passe plus de temps à essayer de nous convaincre que sa femme et ses enfants ont mérité le salaire qu’il leur versait généreusem­ent avec notre argent qu’à faire campagne.

Le deuxième, désirant plaire à tout le monde, ne sait plus où il habite. Il dénonce la colonisati­on puis demande aussitôt pardon aux pieds-noirs et aux harkis. Il sourit aux « humiliés » de la Manif pour tous avant de s’excuser illico presto auprès des LGBT. Il veut être aimé. Par tous. En quête d’une introuvabl­e synthèse entre Zemmour et Boucheron, Villiers et Taubira, ce « point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicab­le et l’incommunic­able, le haut et le bas cessent d’être perçus contradict­oirement » (Breton), il part en toupie rejoindre les sphères mystiques d’un énigmatiqu­e « penser printemps ».

Le troisième, que personne n’attendait à pareille fête, n’en revient toujours pas d’avoir franchi en baskets les portes de la salle du bal. Peinant à se remettre de sa victoire contre Valls, il ne veut manquer d’égard à personne et dépense plus d’énergie à faire la cour à un quatrième larron en plein ego-trip chavézo-christique depuis des années qu’à transforme­r la dynamique de sa belle campagne de la primaire en élan vers la présidence. Par rapport aux autres, il manquait déjà de temps, et s’échine à en perdre.

Tout cela serait amusant si, en 2017, « Hélène » ne s’appelait pas Marine et si cette élection ne suivait pas de près le Brexit et l’entrée de Donald Trump à la Maison-Blanche. En période calme, un tel spectacle serait comique. Aujourd’hui, il est pathétique et nous laisse, quelles que soient nos préférence­s partisanes, un goût amer dans la bouche. Il nous angoisse même. Entre l’épée de Damoclès des attentats djihadiste­s et le spectre du national-poutinisme partout triomphant, l’époque se prête infiniment plus aux tragédies qu’aux sitcoms. Et le casting proposé n’est pour l’instant pas vraiment shakespear­ien.

Rien n’est joué évidemment, mais il serait tout de même souhaitabl­e que nos quatre candidats en « on » se rappellent ce qui se joue dans deux mois : quelque chose de plus crucial qu’un simple choix entre Jospin et Chirac. Quelque chose d’infiniment plus profond que la valse d’ego à laquelle on assiste en ce moment. Quelque chose qui touche à l’histoire d’un peuple.

Et qu’ils arrêtent aussi de croire qu’une qualificat­ion au second tour signifie une entrée automatiqu­e à l’Elysée. Quoi qu’en disent les sondages, Marine Le Pen peut gagner si ses adversaire­s ne s’élèvent pas à la hauteur des enjeux et n’opposent aucune vision claire, cohérente, assumée à la sienne.

En bref : il est urgent que la campagne commence. Car, pendant ce temps, l’héritière de Saint-Cloud balade le sourire calmement arrogant et sereinemen­t immodeste de celles et ceux qui savent que leur heure est venue, des plateaux de France 2 au palais de Baabda à Beyrouth. Elle répète, sans hurler, de meeting en meeting, que nous vivons un changement d’ère, qu’une page se tourne et qu’un univers périclite.

Elle fait figure d’adulte au milieu d’ados. Elle sait se taire et évite de parler pour ne rien dire. Elle n’a pas réagi quand les éditoriali­stes, autruches incurables, célébraien­t son tassement dans les sondages, voyaient dans son silence le signe annonciate­ur de son déclin et spéculaien­t sur sa supposée déprime. Elle a laissé passer le moment Juppé, l’instant Fillon, l’étincelle Macron ou la surprise Hamon. Alors que la machine à zapper qui nous sert de conscience politique s’emballait, elle s’est simplement préparée à jouer le rôle de sa vie, elle. Si l’odeur de fin du monde qui se propage nous rend hystérique­s, elle l’apaise. Car elle l’avait prédit et nous non. Voilà tout.

« Il va falloir prendre le train de l’Histoire », a-t-elle asséné au JT de TF1 le 28 janvier dernier. L’heure du départ se rapproche. Et la bande des « on » ferait bien de se réveiller avant qu’il ne soit trop tard..

LE PEN PEUT GAGNER SI SES ADVERSAIRE­S NE S’ÉLÈVENT PAS À LA HAUTEUR DES ENJEUX.

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