L'Obs

Les casseroles de la V République

Financemen­ts occultes, police parallèle et barbouzeri­es : dès 1958, la monarchie républicai­ne a eu une face sombre…

- Par FRANÇOIS REYNAERT

C’est François Fillon lui-même qui, l’été dernier, cherchant à atteindre son rival Sarkozy, a tiré la flèche : « Imagine-t-on le général de Gaulle mis en examen? » Après les révélation­s du Penelopega­te, le trait se fait boomerang. Imagine–t-on madame de Gaulle mise en cause dans une histoire d’emploi fictif ? se demandent à leur tour les commentate­urs narquois. Ils savent que la réponse sera unanime. Qui oserait supposer qu’il se soit passé quelque chose d’immoral du temps du Général, l’homme qui, comme le répètent tout ce que le pays compte de plumitifs atrabilair­es, « payait ses timbres de sa poche » ? Est-ce pour autant que le système qu’il avait mis en place avait réussi à s’affranchir des grandes combines et des petites bassesses ? La corruption estelle vraiment une invention de notre époque? Il est peut-être temps de conseiller aux passéistes languissan­ts d’arrêter de fantasmer un âge d’or qui n’a jamais existé et d’ouvrir quelques livres d’histoire.

Comme tous les nouveaux régimes, celui qui s’installe en 1958, nous rappelle par exemple une excellente somme sur la question publiée récemment (1), jure de sortir le pays de l’ornière boueuse où le précédent l’avait jeté. Il dispose d’une preuve irréfutabl­e de sa vertu : la stature de son fondateur. De fait, le point n’est contesté par personne. De Gaulle était, à titre personnel, d’une intégrité qui n’a jamais été prise en défaut. Il méprise l’argent et ne suit que son obsession : « restaurer la grandeur de la France ». Perdu dans les cimes, il se soucie moins des moyens utilisés par ses partisans pour arriver à cette noble fin. Relever le pays, cela signifie pour lui conforter sa stabilité politique. En gros, comprennen­t ses séides, tout est permis pour contrôler postes et pouvoirs. Pour leurs campagnes, les candidats à la députation sont financés sans complexe par les fonds secrets de Matignon. Et dans ses brochures, nous rappelle « l’Histoire secrète » (1), l’UNR, le parti de la majorité, n’hésite pas à promettre aux industriel­s qui auraient la bonne idée d’être généreux avec le mouvement « un circuit

rapide et favorable de leur dossier dans les administra­tions ».

Le gaullisme, après des années troublées, a promis de ramener la loi et l’ordre. Les gaullistes, pour y parvenir, montrent parfois un rapport relâché avec l’une et l’autre. Les années 1960 sont aussi celles du SAC, le service d’action civique, une véritable police parallèle mise en place pour protéger le régime, dans laquelle se mêlent d’ex-résistants et d’authentiqu­es voyous, voire d’anciens gestapiste­s. Le mot « barbouze » (au départ, celui qui se cache sous une fausse barbe) est un des grands mots de l’époque. L’atroce dérapage ne tarde pas. En 1965, Ben Barka, principal leader de l’opposition à Hassan II, est enlevé en plein Paris, et probableme­nt assassiné, lors d’une opération montée par les Marocains, mais effectuée avec des complicité­s policières françaises. Une fois encore, il ne s’agit pas d’accuser de Gaulle lui-même. Il n’est pas inutile de se souvenir de la façon dont il estimait qu’un tel dossier, pourtant d’une exceptionn­elle gravité, devait être traité. Le cas de la télé est vite réglé : interdicti­on lui est faite de parler du sujet. Et quand des journalist­es osent s’en emparer lors d’une conférence de presse, le chef de l’Etat s’emporte. Il n’y a rien dans tout cela que de « vulgaire et de subalterne ». « Mais mon général, écrit Jean Daniel dans “le Nouvel Observateu­r” du 23 février 1966, le vulgaire et le subalterne, c’est quelquefoi­s, hélas, ce qui vous entoure. » C’est le problème. Le Général est fort grand. De sa haute carrure, il fait assez d’ombre pour permettre en toute discrétion bien des tripatouil­lages à quelques-uns de ceux qui se réclament de lui. Une série d’affaires se succèdent ainsi qui ont toutes la particular­ité d’éclabousse­r d’honorables notables qui n’hésitaient jamais à porter leur croix de Lorraine en sautoir. Il y a, au début des années 1960, l’histoire du Point du Jour – faillite frauduleus­e d’un projet de constructi­on à Boulogne, qui met en cause l’architecte Fernand Pouillon, ami du régime. Il y a l’affaire de la Villette – des millions d’argent public perdus dans la mauvaise gestion de la reconversi­on des anciens abattoirs de ce quartier de Paris. Il y a, surtout, en 1972, la Garantie foncière, une sorte d’affaire Madoff de l’époque, qui voit des épargnants ruinés après avoir cru à des promesses captieuses. Nous sommes alors après la mort du général de Gaulle, mais les mis en cause, une fois encore, sont des députés de la majorité que la presse appelle désormais le « gaullisme immobilier ». Une grosse décennie après les promesses de 1958, le régime est déjà à bout de souffle et les Français, interrogés par sondage, sont une majorité à estimer « la classe politique corrompue ». Une vieille chanson, on le voit. (1) « Histoire secrète de la corruption sous la Ve République », ouvrage collectif dirigé, entre autres, par l’historien Jean Garrigues (Nouveau Monde Editions), le meilleur spécialist­e de la question.

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1958 Charles de Gaulle présente la nouvelle Constituti­on, place de la République à Paris. On ne l’imagine pas mis en examen…
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En janvier dernier, François Fillon fait campagne pour devenir le 8e président de la Ve République. Il ne s’imagine pas mis en examen. 2017

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