Cette droite tentée par Macron
Depuis la défaite d’Alain Juppé à la primaire de la droite, et plus encore depuis le Penelopegate, de nombreux électeurs de l’opposition lorgnent du côté du leader d’En Marche! Malgré les revirements de ce dernier? Récit
C’est un élu des Républicains qu’on interroge sur les ennuis de son candidat, François Fillon. « Mon candidat ? Lequel ? Je vais soutenir Emmanuel Macron ! » L’affaire n’est pas totalement bouclée. Notre homme doit encore rencontrer le leader d’En Marche!, en tête à tête, avant d’officialiser son grand saut. Mais son choix est fait. Il avait déjà des doutes sur le vainqueur de la primaire de la droite, trop conservateur, pas assez rassembleur. Le Penelopegate a achevé de le convaincre. « Fillon n’a plus aucune crédibilité. Les jeunes, les entrepreneurs ont disparu de la circulation, il ne reste que des têtes blanches à ses meetings. Et ce que dit Macron sur la baisse des charges, la réforme du Code du Travail, c’est carré. » Seule crainte de cet ancien secrétaire national UMP : « Je ne veux pas être l’alibi qui cache la forêt du retraitement d’anciens socialistes, il faut que la droite avec Macron ait la parole. »
Macron, un problème pour la gauche : c’était le discours officiel à droite, il n’y a pas si longtemps. La candidature de l’ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée était même parfois regardée avec mépris : « C’est Coluche sans le rire », expliquait l’ex-coordinateur de la campagne de Nicolas Sarkozy, Gérald
Darmanin, il y a plusieurs mois. Depuis des semaines, et singulièrement depuis les révélations du « Canard enchaîné » sur les supposés emplois fictifs de Mme Fillon, le ton a changé.
Les élus de droite sont nombreux à entendre une même lancinante petite musique : dans leur entourage ou leur cercle militant, des gens, jusqu’ici bien arrimés à droite, n’excluent pas de voter pour le candidat En Marche !. Son libéralisme économique et sociétal séduit ceux pour qui Fillon apparaît comme trop « Manif pour tous ». Et lui au moins n’a pas d’ennuis avec la justice… Son positionnement « hors parti » plaît à d’autres qui veulent du changement. C’est « le “Nuit debout” des traders », dit drôlement le chercheur Gaël Brustier (1). Pour une partie de la droite modérée, l’inspecteur des finances Macron, ancien banquier chez Rothschild, a tout du gendre idéal avec sa maison dans la très chic station du Touquet. Le candidat qui n’est « pas socialiste » soigne sa droite entre une visite l’été dernier aux côtés de Philippe de Villiers au Puy du Fou et ses déclarations dans « l’Obs » sur les « humiliés » de la Manif pour tous… Au risque de perdre en route ses électeurs venus de la gauche.
Dans sa ville de Reims, le jeune maire LR Arnaud Robinet a constaté la curiosité suscitée par l’ancien ministre de l’Economie bien avant l’affaire Penelope : « Sur le terrain, je vois des participants à nos primaires qui envisagent de voter Macron. Des quadras, libéraux, de centre droit, même des gens qui avaient voté Fillon mais n’avaient pas lu son programme », racontait-il en janvier. Son collègue LR d’Aulnay-sous-Bois, Bruno Beschizza, est tombé de sa chaise lorsqu’un de ses proches, ex-fan de
CE QUE DIT EMMANUEL MACRON EST “TOUT À FAIT INTÉRESSANT” PIERRE GATTAZ
MACRON EST LE SEUL CANDIDAT “QUI S’ADRESSE À L’ENSEMBLE DES FRANÇAIS” DOMINIQUE DE VILLEPIN
“UN PRÉSIDENT DE 39 ANS, ÇA A UN CÔTÉ BONAPARTE” RENAUD DUTREIL
Raymond Barre dans les années 1980, lui a expliqué que, cette fois, il voterait pour le candidat d’En Marche! parce qu’il avait « envie d’autre chose ». Dans son département de l’Oise, la sénatrice Caroline Cayeux a observé deux ou trois élus de son bord qui « rasent un peu les murs et me disent : “Quand même, Macron remplit les salles… Donc, on regarde…” ». Des cas isolés ? Ou le début d’une fuite d’électeurs ? « Macron a la capacité de pénétrer l’électorat de droite, confirme Martial Foucault, le directeur du Centre de Recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof ). Un tiers de ses électeurs potentiels a voté pour Sarkozy ou Bayrou en 2012. » Dans la dernière enquête du Cevipof et d’Ipsos-Sopra-Steria pour « le Monde », Emmanuel Macron aspire ainsi 2,5 points d’électeurs déçus de Fillon. Mais ces mouvements restent fragiles : avec ses déclarations polémiques sur la colonisation – « crime contre l’humanité » –, le candidat risque de froisser une partie de l’électorat LR. Son meeting à Toulon, terre de droite, est loin d’avoir fait le plein.
Jusqu’ici, seules des individualités et des personnalités un peu en marge à droite comme Jean-Paul Delevoye ou Corinne Lepage ont publiquement sauté le pas. Parmi elles, d’anciens ministres chiraquiens comme Renaud Dutreil. Reconverti dans le business, le créateur du label « La droite avec Macron » estime que son nouveau champion a la capacité de séduire à la fois les héritiers de Chirac, en quête de gaullisme social, et ceux de Giscard d’Estaing attachés à l’Europe et aux avancées sociétales. Voire les admirateurs de l’épopée napoléonienne : « Un président de 39 ans, ce serait la France qui rayonne, ça a un côté Bonaparte », s’enflamme-t-il. Est-ce ce qui séduit Dominique de Villepin, qui a chanté les louanges de celui qui s’adresse « à la droite, à la gauche, à tous les Français »? Jusqu’ici, cependant, Macron n’a fait basculer aucun parlementaire LR. Mais l’un d’eux, jeune élu, confie qu’il a hésité : « Rejoindre Macron? Si j’étais seulement député, et pas maire, je me poserais la question. Mais là, j’ai mes électeurs de droite dans ma ville. »
Sans surprise, c’est chez les partisans d’Alain Juppé, toujours pas remis de l’élimination de leur champion, que la tentation Macron existe le plus clairement. Dès la défaite annoncée le 27 novembre, son nom revenait dans les conversations au QG du candidat. « Je reçois plein de SMS d’amis centristes, parisiens, bobos, ils voteront pour lui », racontait un proche du maire de Bordeaux. Au moins deux des présents ce soir-là ont sauté le pas : Christophe Brunelle, animateur du comité AJ dans le 11e arrondissement de Paris, a adhéré à En Marche ! sur internet en rentrant chez lui. Cet ancien UMP, prof d’anglais à Boulogne, est désormais l’une des petites mains bénévoles de l’ancien banquier de Rothschild. Aurore Bergé était à l’époque chargée de la campagne numérique dans l’équipe Juppé. La jeune élue LR a attendu quelques semaines avant de rejoindre « EM ». Depuis, elle a reçu quelques messages venant de son camp l’accusant de trahison et une quinzaine d’appels de petits maires ou conseillers régionaux tentés de faire comme elle.
Signe que ce risque de contagion n’est pas pris à la légère, Virginie Calmels, l’une des plus proches de Juppé, a créé son
“LA MUSIQUE EST SYMPATHIQUE, ON VA ATTENDRE SON PROGRAMME” ALAIN MADELIN
“LIBÉRALE, FÉMINISTE, EUROPÉENNE, DE DROITE, JE ME METS EN MARCHE” AURORE BERGÉ
propre club, DroiteLib, qu’elle présente comme « un missile anti-Macron ». Car, reconnaît l’ancienne patronne d’Endemol France, elle aussi aurait pu tomber sous le charme : « Tout pouvait me raccrocher à lui. Je suis une libérale humaniste, j’ai un diagnostic proche du sien : sa volonté de régénérer un système un peu bloqué. » Mais, précise aussitôt celle qui a rejoint l’équipe Fillon, « Macron, c’est une mystification. Un pur produit du système, dans une démarche égotique ». Benoist Apparu, autre juppéiste de choc, relativise la capacité de Macron à grignoter à droite : « Pour moi, ça pèse deux ou trois points, pas plus. Pour notre électorat, il reste quand même l’héritier de Hollande. »
Autre vivier sensible aux sirènes macronistes, les milieux patronaux. Pierre Gattaz ne lui a-t-il pas fait les yeux doux, jugeant son projet « intéressant » et craignant à voix haute que les projets de Fillon ne mettent « le feu » au pays ? « Je suis sûr que la moitié du conseil exécutif du Medef est pro-Macron, voire plus », pronostique un bon connaisseur de la maison. Autre figure libérale, l’ancien ministre Alain Madelin n’ouvre-t-il pas la porte en déclarant à « l’Obs » : « La musique est sympathique, on va attendre son programme » ? En décembre, lors de la première grand-messe d’Emmanuel Macron porte de Versailles, « l’Obs » avait aussi repéré la présence de la très sarkozyste Patricia Balme, l’une des anciennes responsables du Premier Cercle de l’UMP.
Dans le camp Fillon, la contre-offensive est lancée. Plus un meeting sans que Macron ne soit taillé en pièces : « la gauche du marketing et des paillettes », « télévangéliste ». Le vainqueur de la primaire de la droite estime que son concurrent est condamné à s’essouffler ou à dévisser. Déjà, des brebis égarées reviennent au bercail, assure Pierre Danon, l’ex-PDG de Numericable et responsable de la société civile avec « FF » : « J’ai vu beaucoup de chefs d’entreprise se poser des questions après le choc du “Canard enchaîné”, reconnaît-il. Mais ils rebasculent. J’ai dîné vendredi avec trois d’entre eux, ils avaient voté Fillon à la primaire mais me disaient : “Quand même…” Je leur ai dit de comparer les programmes, il y a de vrais éléments repoussoirs chez Macron. »
Le phénomène resterait en outre très circonscrit aux cadres supérieurs, citadins, de centre droit. Député de l’Ain, Damien Abad le constate : « Dans un département de droite comme le mien, sa capacité de séduction est limitée, il ne perce pas dans la France des territoires », assure-t-il. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer, selon lui : « Il y a une stratégie des militants d’En Marche ! pour déstabiliser notre électorat. Des gens de chez eux font du porte-à-porte en se présentant comme de soi-disant personnes de droite déçues par Fillon. » Chez lui, Abad redoute davantage Marine Le Pen. Et veut croire à la remontée de Fillon, dont le socle reste solide : « Il ne faut pas sous-estimer la volonté de l’électorat de droite de gagner cette élection. » Chef d’orchestre de la communication de Fillon, Anne Méaux estime elle aussi que les fondamentaux sont du côté de son champion : « Macron a lancé une offre d’image, nous, une offre de fond. Qui négociera avec Trump et Poutine ? Qui s’occupera du terrorisme ? Quand on pose la question, plus personne ne prononce le nom de Macron ! » La patronne d’Image 7, qui possède aussi une maison au Touquet, parie que « cette séduction » ne durera pas : « C’est comme une jolie fille qu’on regarde à travers la vitre du café, et après on rentre à la maison. » En chassant ses mauvaises pensées.
(1) « Emmanuel Macron, le signe que nous approchons du stade terminal de la crise de régime », tribune publiée sur Slate.